Dans un comicbook de Frank Miller à paraître en décembre 2019, Dark Knight Returns : The Golden Child, le personnage de Carrie Kelley va devoir s’habituer à son nouveau rôle de Batwoman, après avoir endossé les costumes de Robin et de Catgirl. Elle devra affronter un « mal terrifiant » de retour à Gotham. Mais auparavant, elle va devoir faire face à la censure politique. Le 28 novembre dernier, l’éditeur DC Comics a supprimé un visuel controversé en Chine, car soupçonné de soutenir l’indépendance de Hong Kong.
Héroïnes masquées et héros masqués se battant pour la justice, bad guys incarnant les travers de la société ou se rebellant contre elle, les comics ont facilement un fond sociopolitique. Priya’s Shakti, superhéroïne indienne, se bat notamment contre le viol, faisant d’elle une icône importante dans le pays. Le succès international de Joker est une autre incarnation récente de la dimension politique des comics. Même si tout le monde n’est pas d’accord pour assimiler un tueur avec une figure de rébellion, le masque du Joker a pris dans les rues une tournure symbolique incarnant la contestation. À Hong-kong, comme dans d’autres types de mouvements, des manifestants arborent le masque.
« The future is young »
Pour The Golden Child, en revanche, le comics semble être devenu politique… bien malgré les auteurs. Les raisons de la polémique sont assez obscures. Pour la promotion de l’album, DC Comics a diffusé un visuel sur les réseaux sociaux. On y voit Batwoman sur le point de lancer un cocktail Molotov. En fond, il est inscrit « The future is young » (le futur appartient à la jeunesse), couleur rose flashy. Si Twitter et Instagram ne sont normalement pas accessibles en Chine, le visuel a fuité et provoqué un improbable tollé.
La polémique est venue des militants pro-Pékin, ceux qui s’opposent à l’indépendance de Hong Kong et aux manifestations prodémocratie. Ils y trouvent plusieurs signaux en lien avec les événements politiques ayant lieu en ce moment sur le territoire. Pour eux, le vêtement noir porté par Batwoman renverrait aux manifestants les plus virulents eux-mêmes recouverts de noir. Le cocktail Molotov correspondrait à la méthode utilisée durant les échauffourées. Même le titre de l’album est un problème à leurs yeux : The Golden Child, ou « l’enfant doré », serait directement lié à la couleur jaune très présente durant les précédents mouvements prodémocratie à Hong-kong.
Sur Weibo, le réseau social chinois de référence, les militants pro-Pékin se sont insurgés sur tous ces éléments. Les remarques sont parfois violentes, jusqu’à exprimer que ce serait « suicidaire » de la part de DC de poster cela en cette « période sensible ». Comme le rapporte le journal chinois Global Times, un utilisateur écrit que « Ce poster est vraiment ambigu. Mes amis, qui ne connaissent pas bien DC Comics, disent que leur première impression est que le poster soutient les contestataires hongkongais ». Si Hong Kong a parfois été décrit comme une sorte de Gotham City lors de la sortie de Joker, un autre utilisateur commente le visuel en détournant cette comparaison : « Est-ce que Hong Kong se transforme vraiment en Gotham ? Mais les manifestants hongkongais ne sont pas Batman. Ils sont plutôt les criminels de Gotham City ».
Aucun représentant de DC Comics ne s’est exprimé ni n’a répondu à la moindre demande d’interview. L’éditeur s’est contenté de supprimer toute trace du visuel sur ses réseaux sociaux officiels. L’explication est économique : la Chine est l’un des plus gros marchés pour Warner, propriétaire de DC. Le film Aquaman y a eu un franc succès et a rapporté 298 millions de dollars, pas si loin des 335 millions récoltés aux États-Unis et au Canada rassemblés. En revanche, l’artiste ayant collaboré avec Frank Miller sur ce numéro, Rafael Grampá, ne s’est pas privé de reposter l’image sur son propre compte. Il s’est même fendu d’un commentaire en décrivant la situation comme « surréaliste ».
https://twitter.com/Rafael_Grampa/status/1199833737699188737
On ne peut que lui donner raison, puisque les éléments mis en avant par les militants pro-Pékin ne font que relever des aspects scénaristiques typiques de la saga du Chevalier Noir. Batwoman et Batman ont toujours été habillés avec du noir ; et on peut raisonnablement douter que Frank Miller ait basé tout sur récit sur l’enfant doré en songeant à la couleur jaune mise en avant durant les événements débutés il y a quelques années à Hong Kong. Quant au cocktail Molotov, ce n’est certes pas une méthode très Batman, mais il s’agit bien ici de Batwoman, avec ses propres modes opératoires — qui semblent surtout correspondre à la personnalité très rebelle de Carrie Kelley.
Une autre polémique récente obéit au même schéma. Un joueur pro a été banni par Blizzard pour s’être exprimé en faveur des militants prodémocratie de Hong-kong. Si des raisons économiques semblaient justifier ce choix très diplomatique, Blizzard a joué l’apaisement en affirmant ne pas être influencé par la Chine.
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