C’est un piano martelé qui revient sans cesse, dans le fond, comme un tam-tam aigu venu marquer les scènes les plus importantes de la vie de Will Reeves.
Le sixième épisode de la série Watchmen est une œuvre poignante, au sens premier du terme : le showrunner Damon Lindelof nous prend par le col et nous plonge la tête dans une bassine d’eau glacée qui met tous les sens en alerte. Impossible de détourner le regard, impossible, aussi, d’entendre autre chose que les tambours qui résonnent dans nos tympans lorsque Will Reeves se transforme pour la première fois.
Qui est Will Reeves ? C’est tout le questionnement de cette première saison de Watchmen, dont nous ne divulgâcherons pas les éléments cruciaux pour laisser aux lecteurs le plaisir d’être librement transcendés. C’est sur cet homme noir de presque 100 ans que s’ouvre la série, alors qu’il n’était qu’un enfant, dans une salle de cinéma sombre, hypnotisé par un film muet sur la vie de Bass Reeves, le premier shérif adjoint noir du Mississippi. Sa mère tape frénétiquement sur les touches du piano désaccordé, mais pas assez bruyamment pour recouvrir les sirènes d’alerte qui résonnent de plus en plus fort. Dehors, des membres du Ku Klux Klan ont lancé une expédition punitive raciste, visant à exterminer toutes les personnes noires de la ville.
Un cocktail d’optimisme et de cynisme unique
Près d’un siècle plus tard, les choses ont-elles vraiment changé ? C’est cette Amérique hypocrite que Watchmen dépeint avec le regard si caractéristique de Damon Lindelof (Lost, The Leftovers) : comme on ajouterait de l’huile au vinaigre, il associe cynisme et optimisme, mélange le tout vigoureusement, puis laisse retomber, puis secoue à nouveau, nous ballotant au gré des molécules qui dansent et s’éparpillent.
« Pas de justice expéditive ! Faites confiance à la loi ! » proclame le shérif Bass Reeves, et rien n’a jamais été aussi faux. De tous les personnages qui font tenir cette exceptionnelle première saison — et il y en a beaucoup —, aucun ne suit, ni ne croit en cette maxime. Laurie (Jean Smart) en est le parfait exemple, en flic amère faussement sincère, bousillée par sa rupture avec Mr Manhattan il y a trente ans, et que l’on aurait bien vue enfiler une tenue blanche et errer dans les rues de The Leftovers, clope au bec et regard éteint.
Angela Abar, la véritable héroïne de la série, est elle aussi parfaitement insincère, à la fois touchante et puissante. C’est elle que l’on suit, dans ce sixième épisode réalisé par Stephen Williams (un habitué de Lost), propulsée à l’intérieur des souvenirs d’un autre, dans une sorte de bouillie de passé et de travelings, où le noir et blanc ne fait qu’accentuer les évidentes discriminations.
Jusqu’ici, seule la série animée BoJack Horseman, en profitant pleinement de sa liberté sur la forme, était parvenue à superposer des morceaux du passé avec une telle fluidité, tant éprouvante pour le regard extérieur. Longtemps, on s’est repassé les scènes d’égarement de la mère de BoJack (saison 4, épisode 11) atteinte de la maladie d’Alzheimer, alternant souvenirs vivaces et incapacité de se souvenir du visage de sa plus proche aide ménagère.
Watchmen vient de montrer qu’il était possible de filmer la mémoire, pas seulement celle d’un homme, mais d’une communauté minoritaire toute entière, où chacun doit, en plus de subir sa propre oppression, porter sur ses épaules l’histoire de celle de ses ancêtres. Ce qui choque le plus, dans cet univers où des calamars pleuvent du ciel et un géant homme bleu a anéanti une partie du Viet Nâm, c’est combien les hommes restent identiques, mus par les mêmes obsessions racistes inexplicables. Il ne reste plus beaucoup d’épisodes avant la fin de la première saison de Watchmen, mais la production pourrait d’ores et déjà être sacrée la plus marquante de l’année. Une manière de clore en beauté la décennie mouvementée qu’a connu l’art sériel, et peut-être de poser des bases solides pour la prochaine.
Watchmen est diffusé en ce moment sur HBO aux États-Unis et sur OCS en H+24 en France.
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