Deux mois après le lancement très remarqué de son album, Radiohead revient sur un mode de commercialisation traditionnel. Et si, finalement, cette opération n’avait eu d’autre ambition que de constituer un bon coup de pub pour Rainbows ? Quand une simple opération marketing prend le risque de se transformer en « business model » pour toute l’industrie.

Cela fait quelques jours que Radiohead a mis fin à cette expérience largement médiatisée qui consistait à laisser l’internaute décider lui même du prix qu’il voudrait mettre dans son dernier album. L’initiative a surpris tout le monde et l’enthousiasme fut tel qu’il en poussa d’autres à suivre la même voie, de Saul Williams à Barbara Hendricks. Pourtant, les contradictions sont là et bien réelles, et Radiohead ne fait rien pour y mettre un terme.

D’abord, sur les chiffres réels de l’opération, seul moyen pour nous de vérifier si elle fut bien un succès comme le groupe le prétend. Deux mois après, Radiohead n’a toujours rien concédé, et quand comScore s’essaie à une évaluation un peu moins reluisante que ce qui avait été dit auparavant, les concernés se contentent de la nier en bloc, sans pour autant avancer autre chose que leur bonne foi.

Et maintenant Radiohead abandonne l’initiative pour revenir aux circuits traditionnels. D’accord, il était prévu dès le début de l’opération qu’une commercialisation physique ait lieu, mais on percevait cela comme une ouverture, pas comme un brusque virage à 180°. Pourquoi ? Parce qu’elle était destinée à ceux qui sont plus habitués à acheter des CDs chez leur disquaire que de surfer sur le Web à la quête de MP3, ce qui était complètement justifiable. Or, ici, le groupe envisage de mettre ses morceaux en vente sur iTunes, ce qui signifie qu’il s’agit bien d’un retour au modèle traditionnel et non pas d’une ouverture aux laissés pour compte d’Internet. Si l’expérience de Radiohead avait été si concluante, pourquoi ne pas avoir gardé son système de « je décide quel prix mettre » concomitamment avec la vente traditionnelle ?

« C’était une solution après la série d’albums » expliquait il y a peu le manageur du groupe Chris Hufford au New York Times. « Je doute que ça marcherait de la même façon la prochaine fois. » Voyez, on est bien loin du discours euphorique que l’on trouvait dans la bouche de la plupart des observateurs – Ratiatum y compris – voyant dans cette initiative le signe d’un bouleversement des industries culturelles.

Autre chose, la campagne de promotion autour de Rainbows a été orchestrée de manière « gargantuesque ». On aura rarement vu un tel teasing, un tel jeu de piste monté autour de cette sortie. Le groupe n’hésitait pas à lâcher des indices très énigmatiques autour de son bébé, au point de faire cogiter des mois durant les fans sur l’interprétation qu’ils devaient en tirer. Dès le départ, Rainbows misait clairement sur le buzz. Et qu’est-ce qu’a engendré l’initiative gratuite de Radiohead à sa sortie ? Le gonflement de ce buzz d’une manière considérable. La presse entière en a parlé, même dans des journaux qui, en temps normal, n’auraient pas relayé l’information, à l’instar de Ratiatum.

Et maintenant le doute. Si l’expérience de Radiohead n’avait été rien d’autre qu’un simple élément dans une ambitieuse campagne marketing ? Si il ne s’était agit que d’un énorme coup de pub, quitte à en payer l’insuccès ; d’un simple rouage dans l’énorme mécanique promotionnelle du groupe ? Nous l’avons vu, Radiohead ne considère pas cette initiative comme une solution à long terme, une nouvelle façon de commercialiser ses disques, mais simplement comme un truc à essayer.

Dans cette hypothèse, le groupe aurait tapé extrêmement juste. Il aurait profité de l’idéologie forte régnant sur Internet autour de la gratuité pour colporter son œuvre. Une façon de promettre monts et merveilles, de copiner avec une communauté sous de faux semblants.

« C’est certainement une bonne publicité, mais je pense que c’est une sorte d’avilissement de la musique«  expliquait Nicky Wire, membre du groupe de rock les Manic Street Preachers au Daily Star. « La musique est habituellement un marché ; maintenant tout devient numérique. C’est inquiétant que le cinéma va bien, que les jeux vidéo vont bien, mais pas la musique. Le phénomène de téléchargement gratuit ruine l’industrie. »

Bien sûr, ces propos un peu hâtifs sont à prendre avec des pincettes, car il n’est pas prouvé que ce soit le gratuit qui ruine l’industrie. En revanche, on peut lui concéder un point, c’est que l’initiative de Radiohead ait renforcé l’idée chez les internautes selon laquelle la musique devait être payable au mérite ou à l’envie. Et pourtant, il semble bien que le groupe n’y ait vu qu’un moyen de mieux vendre, un peu comme on distribuerait des échantillons gratuit de shampoing à la sortie d’une fac.

Si tel est le cas, Radiohead joue avec le feu. Son initiative a été suivie par d’autres et si tout le monde commence à se prêter au jeu, peut être qu’un jour l’industrie entière en sera réduite à devoir systématiquement commercialiser ses œuvres de la même manière, qu’elle le veuille ou non. Cela annoncerait alors la naissance d’un nouveau « business model » fondé sur quelque chose qui n’en avait jamais eu la prétention.

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