La suppression totale des publicités sur France Télévisions aura un coût. Il est évalué à environ 800 millions d’euros par an, que le gouvernement propose de ponctionner en partie sur les recettes publicitaires des chaînes privées (TF1 en tête), et pour partie sur les nouveaux moyens de communication, à travers une taxe sur les abonnements à Internet et les communications mobiles. D’après les calculs du ministère de la Culture, une taxe de 1,8 % des recettes des opérateurs télécoms suffirait à générer 800 millions d’euros, sans même avoir à taxer TF1 et M6… S’il peut paraître étrange de taxer les nouveaux moyens de communication pour assurer la survie des anciens, ce qui au final revient à augmenter la redevance télévisuelle de manière détournée (les consommateurs seront les payeurs), l’idée n’est pas tout à fait absurde. A condition toutefois de faire de France Télévisions un véritable service public audiovisuel numérique, et non plus seulement un service public de télévision.
Samedi, les services de Christine Albanel ont annoncé son intention de « recueillir l’avis des Français » pour passer avec eux « un nouveau contrat de service public audiovisuel » dans le cadre de l’abandon de la publicité à France Télévisions. Elle souhaite, grâce à l’ouverture prochaine d’un forum sur le site du ministère de la Culture, « savoir ce qu’ils attendent d’une télévision publique renouvelée, ambitieuse et innovante, à la fois populaire et de qualité ».
Voici cinq pistes de réflexion que nous ouvrons ce matin :
1. Rendre l’ensemble des productions France Télévisions accessibles librement sur Internet
Etre dépendant des revenus publicitaires, c’est être esclave de l’audience. Abandonner la publicité, c’est se libérer de cette contrainte du chiffre. Or si le financement du service public audiovisuel n’est plus dépendant de l’audience, il ne fait plus aucun sens de chercher à conduire un maximum de spectateurs vers les ondes hertziennes de France Télévisions. Les contenus produits par le service public, dont on nous promet déjà qu’ils seront bientôt à la hauteur des excellentes productions de la BBC, n’ont donc aucun intérêt à rester l’exclusivité des réseaux de distribution de France Télévisions. Si une taxe finance à 100 % la création audiovisuelle publique, tout contenu produit par France Télévisions devra être accessible au public via Internet dans un mode qui permet tout aussi bien sa libre « consommation » (abandon total des DRM, pas de VOD payante sur ses propres contenus, choix de formats ouverts) que sa libre redistribution. Rien ne justifiera plus le réflexe propriétaire de France Télévisions. Bien au contraire.
2. Utiliser des licences libres de type Creative Commons pour faciliter la redistribution des œuvres
Afin de faciliter la diffusion des productions culturelles du service public, il est essentiel d’aménager le cadre juridique de leur mise en ligne. Le droit d’auteur ne fait pas de distingo entre les œuvres dites « privées » et les œuvres « du service public ». Dans les deux cas, le public a interdiction de les redistribuer, notamment sur les réseaux P2P ou via des sites de partage de vidéos comme YouTube ou Dailymotion. Un tel acte est considéré comme une contrefaçon, promise à une répression renforcée suite aux conclusions de la mission Olivennes. Or si le service public audiovisuel français ne dépend d’aucune mesure d’audience, on voit mal ce qui justifierait encore de priver les internautes français de la possibilité d’être eux mêmes diffuseurs des œuvres de leur service public.
3. Produire des contenus spécifiques pour les nouveaux moyens de communication
France Télévisions doit faire le virage du numérique, ce qui ne se réduit pas au passage à la haute-définition ou à la TNT. Le numérique, ce sont avant tout des barrières naturelles qui tombent, à commencer par la grille des programmes. France 2 ne peut passer que 24 heures de programmes par jour ou 8.760 heures par an. Et chaque spectateur, sauf à utiliser l’artifice technologique du magnétoscope, ne peut regarder le journal de 20H… qu’à 20H. Ces limites, couplées à la nécessité de l’audience, réduisent drastiquement le nombre de contenus produits et diffusés par le service public. France Télévisions doit constamment arbitrer entre les différentes productions pour donner leur chance à celles qui, généralement, ont le plus de potentiel d’audience ou rentrent « dans la bonne case ». Les autres ne voient jamais le jour, ou ne sont jamais diffusées. France Télévisions doit devenir un service public audiovisuel numérique, qui se libère de la grille de programme et propose l’ensemble de ses productions sur Internet, et propose même des contenus spécifiquement développés pour Internet ou la télévision mobile.
Cette nécessité est d’autant plus légitime que l’on ne comprendrait pas que les services Internet et mobiles financent la création audiovisuelle publique sans en bénéficier directement. Il ne doit pas s’agir d’une rente en faveur du vieux média, mais d’un tremplin pour aider le service public à entrer de plein pied dans l’ère numérique.
4. Développer de véritables services numériques et de télévision interactive
Il est particulièrement parlant de constater que si l’Association Française des Développeurs, Editeurs et Fournisseurs de Services en Télévision Interactive (AFDESI) est basée à Paris, aucun des projets nominés pour ses « awards » 2007 n’émergeaient de France Télévisions. A vrai dire, aucun des projets soumis au comité n’était proposé par le service public. La BBC – qui n’a pas de publicité, était au contraire cette année comme les précédentes omniprésente. Parmi les projets numériques développés par la BBC, citons le « iPlayer« , qui permet aux Britanniques de regarder sur un ordinateur n’importe quel programme du groupe dans les sept jours qui suivent sa diffusion. Il faut que France Télévisions renforce sa capacité d’innovation technologique pour offrir les meilleurs services interactifs possibles, en profitant notamment de l’open-source pour bénéficier aussi des forces co-créatives de milliers de développeurs passionnés.
5. Parier sur la qualité et l’intérêt public
Pour supprimer de l’antenne l’excellente émission de Daniel Schneidermann, Arrêt sur Images, France Télévisions avait faussement argué d’une baisse d’audience et d’un essouflement du concept. Or comme nous l’avons vu, avec la disparition de la publicité et son financement par les nouveaux moyens de communication, France Télévisions ne doit plus raisonner en terme d’audience mais de simple intérêt public. L’intérêt public d’Arrêt sur Images est incontestable. Bien sûr, le divorce est consommé et l’émission ne sera jamais reprise par le service public. Mais c’est pour nous l’occasion de saluer le lancement de la version finale du site de @rrêt sur Images. C’est aussi une manière de rappeler que France Télévisions n’évolue plus dans un contexte de rareté de l’offre audiovisuelle, mais dans un contexte où n’importe quel producteur peut lancer son site ou ses services et diffuser ses contenus, avec parfois un certain succès, voire un succès certain. Dans ce contexte là, France Télévisions n’aura qu’une arme pour s’imposer : la qualité.
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