Alors que nous vivons une pandémie, (re)lancer The Last of Us sur PlayStation 4 n’est peut-être pas l’idée du siècle — si l’on veut se rassurer. L’intrigue de cette exclusivité signée Naughty Dog s’articule en effet autour d’une épidémie liée à un champignon, transformant les humains en monstres (comme le fait le Cordyceps avec les insectes dans la vraie vie). Mais le fait est que The Last of Us Part II sort le 19 juin, exclusivité sur PS4 : il y a cette envie de (re)découvrir l’univers apocalyptique imaginé par un studio dont la principale force tient à sa faculté à raconter des histoires.
On pourrait d’ailleurs évacuer d’emblée les défauts de gameplay de The Last of Us, déjà présents à l’époque de son lancement (en 2013, sur la génération précédente). Les déplacements un peu lourds, la visée approximative, l’interface loin d’être fluide ou encore l’intelligence artificielle n’ont jamais empêché la pépite de marquer les esprits. C’est dire si la maîtrise de Naughty Dog, partout ailleurs, est totale. Elle hisse The Last of Us au rang d’incontournable pour qui veut vivre une expérience poignante, jusqu’à faire verser quelques larmes dans certaines situations terriblement bien amenées.
Place à la narration
Après la sortie de The Last of Us, Naughty Dog a prolongé le plaisir avec le DLC Left Behind. Sur un format (trop) court, le studio parvient à affiner le portrait d’Ellie, une fois encore en misant sur la narration et en jouant sur deux époques.
Il faut se rappeler d’où vient Naughty Dog au moment où il propose The Last of Us. Le studio a enchaîné la trilogie Uncharted, plus proche du blockbuster hollywoodien que du film d’auteur touchant. Après la comédie d’action bon enfant de Nathan Drake, sorte de fils spirituel de Lara Croft et Indiana Jones, il faut faire place à un duo de personnages diamétralement opposés. D’un côté, il y a Joel, un père meurtri qui n’a plus vraiment le sens de l’ambition. De l’autre, il y a Ellie, une adolescente supposément immunisée à l’infection, et qui pourrait bien être la solution à la crise. Le point de départ de leur rencontre n’est qu’une mission : Joel doit faire sortir Ellie d’un camp militarisé. Le cheminement est une formidable aventure à portée humaniste. Et la finalité est d’une beauté saisissante, quand le contexte fait réfléchir sur une décision moralement très discutable.
Naughty Dog prouve qu’il a tout compris au genre post-apocalyptique
Au gré des situations cauchemardesques vécues, Joel et Ellie tissent des liens de plus en plus forts. Ils ont tout à gagner à se nourrir l’un de l’autre : l’homme bourru projette un amour perdu dans la douleur, la jeune fille ne connaît rien du vrai monde, aussi bien passé (car il y a forcément des vestiges) qu’actuel. C’est à travers leur alchimie que Naughty Dog prouve qu’il a tout compris au genre post-apocalyptique : derrière le cauchemar qui pousse à l’individualisme garant d’une survie à tout prix, ce sont les relations fortes qui perdurent et préservent l’humanité (symbolisé par le titre, que l’on pourrait traduire en ce qu’il reste de nous, dans le sens philosophique du terme). Il ne faudrait pas négliger non plus le supporting cast, qui offre des situations bien écrites. Elles font aussi bien avancer le récit, qu’accentuer les relations entre les personnages. Il faut voir la leçon d’inclusivité que donne Naughty Dog aux autres : quand Disney brandit maladroitement la différence comme un argument (marketing), The Last of Us le fait avec pudeur et naturel. Parce que c’est normal et parce que le monde est ainsi fait, tout simplement.
Sur les thèmes abordés, la manière dont est traitée l’homosexualité est exemplaire. L’organisation GLAAD (Gay & Lesbian Alliance Against Defamation) a plébiscité le jeu vidéo pour son personnage Bill, croisé très tôt dans l’aventure. Un peu hésitant, il explique à Joel qu’il avait autrefois un partenaire et qu’ils ont dû se séparer compte tenu de la situation. « Quelqu’un que je devais protéger ! Mais dans ce monde, ce genre de conneries n’apportent qu’une seule chose : se faire buter ! Alors tu sais ce que j’ai fait ? J’ai bien réfléchi, et j’ai décidé de rester tout seul », se lamente-t-il. Plutôt que d’insister sur l’homosexualité de Bill, Naughty Dog a préféré parler d’amour — dans toute son imperfection. Et ce, bien avant que l’homosexualité d’Ellie ne soit dévoilée — d’une façon elle aussi remarquée par la GLAAD.
The Last of Us base par ailleurs sa réussite sur son ambiance hors du commun. On a connu bien des œuvres apocalyptiques mais toujours est-il que celle de Naughty Dog fait un sans-faute. Elle est tout à la fois stressante quand c’est nécessaire, et terriblement intime quand il le faut. Le contraste entre l’enfer dans lequel sont plongés les personnages et la vie qui, malgré tout, tente de perdurer est souvent glaçant. À l’époque de son lancement, The Last of Us bénéficiait en prime d’une réalisation d’excellente facture, revigorée sur PS4 avec une remasterisation bienvenue (les visages gagnent en expressivité, ce qui appuie d’autant plus l’argument émotionnel). Il y a en outre le côté road movie, qui offre à Ellie et Joel la possibilité de traverser des décors multiples et variés (le périple dure une bonne vingtaine d’heures).
The Last of Us avait-il besoin d’une suite ? Au regard de sa puissance narrative, nous serions tentés d’affirmer que non. On se demande dès lors comment Naughty Dog va réussir à faire mieux (d’un point de vue gameplay, il y a de la marge), sinon aussi bien, sept ans plus tard. On a nécessairement hâte de retrouver Joel et Ellie, qui n’ont jamais vraiment quitté nos esprits depuis 2013. Bref, vivement The Last of Us Part II — ainsi que la série développée en compagnie de HBO.
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