Sorti en 2004, World of Warcraft continue de porter Blizzard Entertainment. Dans son dernier bilan financier, l’entreprise a enregistré un chiffre d’affaires de 452 millions de dollars et souligne que la croissance est « en premier lieu due » au MMORPG. Ce succès tenace repose sur une communauté fidèle, alimentée régulièrement par des mises à jour et des extensions. En seize ans, le jeu a beaucoup évolué, au point que certains ne voient plus en lui la plateforme sociale qu’il était à l’origine.
Mike Morhaime, co-fondateur et ex-président de Blizzard Entertainment, pointait d’ailleurs du doigt ce changement dans une interview accordée à Venture Beat le 28 avril dernier. Où il explique que l’accessibilité a tué l’argument social de World of Warcraft, alors que le genre MMORPG est devenu beaucoup moins populaire que les jeux de tir comme Fortnite, devenus des plateformes communautaires que Netflix va jusqu’à voir en concurrentes directes. J. Allen Brack, son remplaçant, n’est bien évidemment pas d’accord et défend sa poule aux œufs d’or. Lors de la publication des derniers résultats, il a clamé haut et fort que « World of Warcraft a été pensé comme une expérience très sociale, et c’est autant vrai aujourd’hui qu’à ses débuts ».
Qui a raison ? Voilà une question bien complexe.
Le fun plutôt que le social, ou la difficile équation
Par essence, World of Warcraft se définit comme une plateforme sociale. Après tout, le genre MMORPG intègre des mécaniques de jeux de rôle (création et évolution d’un personnage, avec des quêtes à accomplir) dans une structure ouverte partagée avec d’autres joueuses et joueurs (MMO = Massively Multiplayer Online) — soit un lieu de réunion.
Pendant de nombreuses années, Blizzard Entertainement forçait d’ailleurs les utilisateurs à chercher l’interaction et la discussion pour réaliser des choses ensemble. Par exemple, pour aller dans un donjon à plusieurs, il était nécessaire de rassembler du monde en ville — une opération qui pouvait prendre plusieurs heures. Et comme il fallait se rendre ensuite sur le lieu, les longues minutes de trajet permettaient de faire connaissance. « On blâme beaucoup WoW d’être un jeu de « nolife » alors que je pense que beaucoup de joueurs n’ont jamais eu autant de relations sociales qu’à travers le jeu », explique par exemple Lorris, un joueur interrogé par Numerama. Il s’est fait une dizaine d’amis grâce à World of Warcraft. « J’en connais qui se sont mariés via le jeu ou qui ont eu des enfants », ajoute-t-il.
Il faut dès lors comprendre que World of Warcraft a longtemps été une expérience exigeante, dont le fameux argument social, articulé autour de l’ouverture aux autres, fut la clef pour s’en sortir. Et puis il a fallu que le jeu évolue et devienne plus accessible et plus moderne, dans le but d’attirer toujours plus de monde. Ces modifications se sont faites au détriment du socle social. « Trop souvent les gens rejoignent un groupe juste pour effectuer une action (faire un donjon, un raid, un world boss) et quittent directement le groupe sans plus sociabiliser que ça avec les autres joueurs. Alors qu’avant il fallait prendre le temps de contacter d’autres joueurs et sympathiser avec eux avant de pouvoir faire ce genre d’événements », déplore Buddakhiin, un autre joueur.
Si World of Warcraft a toujours une communauté en 2020, c’est qu’il conserve des arguments pour la lier
Pour beaucoup, le jeu était « mieux avant ». Il appuie : « On est passé d’un jeu où l’on devait avoir des interactions sociales poussées pour avancer à un jeu ou l’on peut progresser sans vraiment de discussion ». « Avec le temps, nous avons écouté les retours de la communauté, et le jeu a évolué vers ce que l’on appelle aujourd’hui un jeu moderne, qui a vraiment approfondi le gameplay et rendu plus simple la possibilité de trouver des amis, de se regrouper, de progresser ou de jouer seul », se défend Blizzard, pour qui World of Warcraft reste « un environnement social ». Au gré des mises à jour, l’entreprise a privilégié le fun et l’accessibilité. Deux concepts qui, année après année, n’ont pas forcément mis de côté la relation entre les joueurs.
Les fans les plus nostalgiques ont l’occasion de revivre cette expérience d’antan avec World of Warcraft Classic, qui reproduit l’essence originale du MMORPG (y compris les exigences pour trouver du monde pour jouer et la pénibilité du jeu, de manière générale). Pour Lorris, il s’agit d’un excellent moyen de « refaire du social » — une preuve que World of Warcraft n’est plus du tout le même aux yeux de celles et ceux qui l’ont connu dans ses premières années. Pour le pire ? Pas vraiment, au regard de ce que disent les chiffres et, surtout, de cette longévité qui a dépassé les 15 ans. Si World of Warcraft a toujours une communauté en 2020, c’est qu’il conserve des arguments pour la lier. Ils ont simplement évolué vers une formule plus conviviale, encore capable de réunir des amis pendant de longues soirées.
Dans notre enquête sur les irréductibles de World of Warcraft datant de mai 2018, plusieurs témoignages insistaient sur l’argument social, qui n’avait pas, pour eux, totalement disparu. Radek, 23 ans, racontait : « Ce qui me motive à continuer aujourd’hui, c’est l’aspect social. Il n’y a pas longtemps, j’ai relancé une partie sur un serveur que j’avais quitté depuis un moment, et j’y ai retrouvé ma guilde d’il y a 5 ans ! J’ai retrouvé les gens comme si on s’était quittés hier, comme si je revenais dans la maison de mes parents. »
Les plateformes sociales ont évolué et Fortnite en est le nouveau roi
Dans un article publié en décembre 2018, The Verge expliquait pourquoi et comment Fortnite était devenu le réseau social le plus important de la planète. Les raisons sont multiples : à partir du moment où il est devenu un Battle Royale, Epic Games a fait de l’accessibilité un argument phare. Et on parle bien de toutes les formes d’accessibilité : alors que World of Warcraft n’est disponible que sur PC, Fortnite est gratuit et disponible sur un maximum de plateformes avec des fonctionnalités cross-play pour abattre les frontières. Comme Minecraft, au demeurant.
Le succès social de Fortnite est d’ailleurs un paradoxe, puisque son gameplay repose sur la loi du plus fort (il faut être le dernier survivant parmi 100 participants). Ce principe aurait dû diviser les gens, il les a rassemblés autour d’une passion commune. Dans une étude relayée par Forbes en juin 2019, le National Research Group explique que Fortnite offre « une manière sûre et ludique d’être soi-même ». En ce sens, le jeu permet de parler, de commenter et de partager des expériences. Dès le départ, Fortnite a été aidé par les plateformes de diffusion en streaming. Sur Twitch, ils sont des milliers chaque jour à regarder les autres s’amuser, ne manquant jamais d’interagir dans le tchat. Ce phénomène est particulièrement présent chez les plus jeunes, dont la vie sociale en ligne n’aurait pas commencé sur Facebook, Twitter ou encore Instagram.
Epic Games a poussé le concept de la plateforme sociale un peu plus loin
Epic Games a également compris comment alimenter Fortnite pour le transformer en une expérience qui dépasse le cadre du jeu vidéo. Non content de déployer régulièrement des mises à jour ayant une influence plus ou moins importante sur le gameplay, le studio organise des événements ponctuels pensés pour rassembler du monde. Ils prennent la forme d’un concert, d’une mini-tournée promotionnelle (tout récemment avec le rappeur Travis Scott, qui a réuni plus de 27,7 millions de joueurs) ou encore de la diffusion d’un extrait exclusif de Star Wars : L’Ascension de Skywalker. À ces initiatives s’ajoutent des partenariats multiples avec des marques populaires (Marvel, John Wick…). Tous ces éléments transforment Fortnite en un terrain d’expression qui fait oublier la règle de base. Et comme il n’y a qu’un seul gagnant, il y a 99 personnes qui n’ont pas envie de tout perdre non plus.
Fin avril, Epic Games a poussé le concept de la plateforme sociale un peu plus loin en introduisant un mode ‘party royal’, qui enlève les constructions et les armes. Sur une carte repensée, les joueurs ont l’opportunité de découvrir des interactions plus relaxantes (danse sur une piste, parcours en VTT, séance de cinéma…). En étant à l’origine de ces outils sociaux, Epic Games prouve qu’il maîtrise sa plateforme de A à Z. Sur World of Warcraft, Blizzard reste très sage en matière d’évènements, se contentant de quelques dates thématiques (exemple : Halloween) et des sorties d’extensions. Le studio préfère laisser les joueurs gérer eux-mêmes ces rencontres (certains organisent des mariages ou des hommages).
Et c’est bien compréhensible : World of Warcraft n’a pas bénéficié du même socle culturel que Fortnite. Il n’a pas pu s’appuyer non plus sur Twitch pour devenir plus grand. En avait-il les qualités ? Difficile à dire, quand on doit regarder 15 ans de décisions. Et analyser plusieurs échecs qui auraient pu aller dans cette direction : les fiefs de Warlords of Draenor n’avaient-ils pas, avec une bonne personnalisation et des activités, le potentiel pour devenir des lieux de rencontre uniques ?
De son côté, Fortnite porte en lui 15 ans d’évolutions de la société sur le web, qui a connu Facebook, Twitch, YouTube et toutes les pratiques sociales modernes. C’est un jeu, certes, mais surtout un produit conçu pour rassembler, occuper, divertir et être regardé par une audience large.
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