Le vendredi 19 juin 2020 était un jour important dans le monde des jeux vidéo : la date de sortie de The Last of Us : Part II sur Playstation 4. Teasé depuis des années, plusieurs fois repoussé pour être pleinement parachevé, ce jeu était clairement l’un des plus attendus de l’histoire. La raison ? The Last of Us, sorti en 2013, nous a marqués profondément dans une tornade inoubliable d’émotion intime et de violence intense. Grâce à ses sources d’inspiration et à sa propre originalité, l’œuvre culte de Naughty Dog a pleinement réussi à transposer toute la puissance qui caractérise la fiction post-apocalyptique.
Les œuvres « post-apo », que ce soit en littérature, au cinéma, dans les séries ou dans les comics, ne se résument presque jamais à une simple fresque déprimante et gratuitement violente. « On a vu une ouverture pour que le ‘survival horror’, ou peu importe comment vous l’appelez, nous donne l’opportunité de développer des personnages au sein de ce monde », expliquait le game director du jeu, Bruce Straley. Et c’est bien là où The Last of Us puise dans l’essence du post-apo : après l’apocalypse vient l’installation du chaos, mais, dans ce contexte ultra brutal, des liens humains réapparaissent, basés sur l’amour, la tendresse ou simplement la solidarité pour la survie. Ces liens qui surmontent la violence ambiante.
En l’occurrence, il est question des liens entre Joel et Ellie. Le premier est né avant l’apocalypse. Il l’a subie de plein fouet en perdant son propre enfant. Depuis, il est devenu solitaire, replié sur lui-même. La seconde est née après l’apocalypse. Elle n’a connu que cette horreur et elle a également perdu des gens proches. Indépendante malgré son jeune âge, elle est, comme Joel, plutôt solitaire. Avec leur rencontre débute une coopération qui se transformera en ce qui se rapproche le plus d’une nouvelle famille, à eux deux.
Horreur et espoir, de La Route aux Fils de l’homme
La Route, le roman culte de Cormac McCarthy, représente clairement l’une des influences majeures derrière The Last of Us et sa portée bouleversante. Dans l’oeuvre de McCarthy, l’apocalypse a eu lieu, la société s’est effondrée et le monde a été réduit en cendres. Il ne reste que peu de survivants, dont font partie un père et son fils. Ensemble, ils traversent ce chaos : en restant soudés quoi qu’il arrive, ils affrontent les dangers d’un monde redevenu sauvage. Chaque page tournée revient à quitter un moment terrifiant et émouvant pour vivre un autre moment terrifiant et émouvant. On retrouve, dans The Last of Us, cette même façon de raconter l’humanité à travers le chaos — et cette même mobilisation intelligente de la violence, non comme spectacle mais comme les ténèbres grâce auxquelles la lumière prend tout son sens.
Un duo adulte-enfant appuie sur l’horreur de la situation — un enfant obligé d’abandonner toute innocence pour faire face à un monde cruel. Mais il intensifie aussi l’importance du rapport humain. Et réhabilite, dans ce chaos, une notion de filiation : protéger, aimer, chérir. En revanche, si La Route aborde la persistance du lien humain après l’apocalypse, le jeu de Naughty Dog imagine tout bonnement la création de nouveaux liens. L’essence du message post-apocalyptique est alors plus que jamais présente : l’histoire des personnages n’est pas seulement déprimante à cause de toute la violence des situations, elle est aussi remplie d’une forme d’espoir, d’une « promesse ».
Cet équilibre narratif entre atrocité et espoir, ainsi que ce monde chaotique raconté par le biais de l’intimité, sont autant d’ingrédients qui se retrouvent aussi dans Les Fils de l’Homme (le roman et le film), dont The Last of Us s’inspire beaucoup, comme le raconte Neil Druckmann.
L’oeuvre de Naughty Dog n’est cependant pas qu’un condensé de ses sources d’inspiration, elle s’en émancipe, propose une aventure inédite, un traitement unique… et dispose d’un avantage sur tous les autres récits post-apocalyptiques : c’est un jeu vidéo, nous avons les manettes, nous sommes les protagonistes. On est alors heurté par la portée déchirante de l’histoire encore plus vivement que nous en sommes acteurs, actrices.. On est d’autant plus plongé dans l’horreur, d’autant plus rempli d’espoirs, d’autant plus attachés aux personnages.
Paysages d’exil
The Last of Us, premier comme deuxième épisode, relève d’un road movie. C’est également le cas pour La Route et bien d’autres œuvres du genre. Dans le post-apo, toutes les bases de la société se sont écroulées. Les fondements sociaux, politiques, culturels ne reposent plus sur des lieux ni sur des institutions : ils reposent sur les rescapés, les derniers représentants de l’espèce humaine. Tout ce qui fait l’identité humaine, en quelque sorte, repose sur la capacité de ces humains à les garder en eux et à les faire vivre en dépit d’un monde dévasté.
C’est le sentiment qui nous guide, tout au long de The Last of Us : entre des groupes humains ultra violents, des zombies immondes et des bâtiments en ruine (inspirés notamment de Je suis une légende et de The Walking Dead), tout au long de cet exil sur les routes américaines, seuls Ellie et Joel — et quelques autres personnages qu’ils rencontrent — sont porteurs de l’humanité, de ce qu’elle avait de beau et courageuse avant l’apocalypse. En puisant quelques inspirations dans The End of the F***ing World, la partie 2 du jeu maintient ce cap du road trip comme un exil désabusé, sombre mais pas totalement désespéré, et où tout est à réinventer.
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