Une vidéo de 2018 du joueur français MoMaN, dans laquelle il se fend d’une remarque sexiste envers une joueuse, est récemment ressortie sur Twitter. Elle montre combien les plateformes ont tardé, et tardent toujours, à réagir et à mettre en place des initiatives pour garantir la sécurité des joueuses en ligne. Même après une prise de conscience officiellement généralisée sur le sexisme en ligne, les femmes restent victimes d’insultes et de harcèlement, notamment de la part des communautés de certains streamers.

« En échange de mon coffre, est-ce que tu veux sucer ma bite ? », demande le streamer français MoMaN en plein live, en anglais, au cours d’une soirée de janvier 2018. Il pose la question à une joueuse anglophone, Rory, l’une des seules femmes de la partie. Quelques minutes avant, il imitait avec sa bouche un bruit de masturbation. La vidéo de la partie a été publiée sur Twitter par Rory dans la nuit du 22 juin 2020, avec pour seul commentaire : « J’ai gardé cela secret pendant trop longtemps. Ça me scandalise toujours. Ce joueur, partenaire officiel de Twitch, est venu me trouver alors qu’il était en live. Il a entendu à ma voix que j’étais une fille. Sa communauté a commenté ‘Viole-la’ dans le tchat. Voilà ce que c’est d’être une joueuse dans ce milieu. »

Si quelques minutes après sa « mauvaise blague », comme il la désigne, MoMaN s’excuse plusieurs fois, le mal est malheureusement fait : ses abonnés insultent déjà la streameuse, et il ne fait rien pour les calmer, ou les en empêcher. Il dit même, juste après s’être excusé, que ce n’est « pas grave » et qu’elle est « grave choquée ». « Je me suis excusé, c’est pas grave. Si elle veut pas d’excuse, on se casse.» Dans une autre vidéo, on entend le joueur regretter à nouveau et mentionner la possibilité de voir « suspendre son compte pendant une semaine », ce qui n’a pas eu lieu.

Rory recevra tellement de messages de la part des abonnés de MoMaN qu’elle sera obligée d’arrêter de streamer pendant un certain temps, explique-t-elle aujourd’hui, deux ans et demi plus tard.

Aucune sanction de la part de Twitch

Depuis, MoMaN a publié de nouvelles excuses, expliquant qu’il avait conscience d’avoir « dépassé les bornes ». Il nie cependant que ses abonnés aient pu, à la suite de sa « blague de très mauvais goût », harceler en grand nombre Rory. « Ma communauté est plus mature que moi, et n’a jamais harcelé Rory par la suite », termine-t-il. Pourtant, c’est en grande partie faux.

Commentaires sexistes, polémiques sur les réseaux sociaux, puis excuses : des histoires comme celles-là sont devenues monnaie courante, et montrent encore aujourd’hui le calvaire que les streameuses vivent au quotidien. Les marques partenaires des joueurs, ou bien les éditeurs du jeu en question ont beau réagir, rien ne change. Twitch, la plateforme de streaming dont MoMaN est un partenaire officiel, a réagi très rapidement à la polémique en publiant à peine quelques heures après un tweet d’excuse officiel : « Nous prenons les accusations de harcèlement sexuel et les mauvaises conduites très au sérieux. Nous sommes en train de nous intéresser activement aux comptes de streameurs affiliés à Twitch et travaillerons avec les forces de l’ordre lorsqu’il le faut. »

Mais les efforts semblent s’arrêter là. Aucune sanction pour les streamers en question, juste un rappel des règles de la communauté. Les joueurs sont avertis, et l’affaire est classée. Malgré la prise de conscience officielle de la difficulté pour les joueuses d’évoluer dans le jeu vidéo à armes égales face aux joueurs, le sujet du harcèlement sexiste reste, en 2020, toujours d’actualité, comme nous l’ont expliqué de nombreuses joueuses dans une récente enquête publiée par Numerama.

Pour les joueuses, les insultes continuent

Cependant, pour les streameuses qui subissent ces insultes, c’est souvent le début d’une très longue vague de harcèlement. Rory, qui avait dû arrêter de streamer après la partie de décembre 2018, a à nouveau été submergée de messages, au point de devoir passer son compte Twitter en privé. En effet, sur le réseau social, où l’affaire est très suivie, la plupart des messages affichent leur soutien à MoMaN, au détriment de la streameuse. Elle est notamment accusée de « vouloir faire le buzz », de « salir Moman (sic) », d’être une « mauvaise féministe » ou encore une « feminazi », on se demande pourquoi, si elle était si choquée, elle avait tant attendu avant de reparler de l’histoire.

Elle est loin d’être la seule à devoir vivre avec les contrecoups des histoires de harcèlement ou de remarques sexistes de la part de joueurs connus. Comme Numerama en parlait déjà l’année dernière, les joueurs de la Team Solary, une équipe d’esport française, sont régulièrement pointés du doigt pour leurs commentaires très agressifs envers des militantes féministes sur Twitter. Mais plus que ça, c’est leur inaction par rapport à leur communauté, qui va ensuite harceler ces femmes, qui porte préjudice.

C’est notamment le cas pour MoMaN, qui, alors que ces abonnées chantaient « viole là », n’a rien fait pour les calmer. Les excuses sont encore considérées comme l’absolution, alors que bien souvent, le harcèlement ne fait pourtant que commencer pour les femmes visées.

Une modération encore insuffisante

Les réponses des plateformes laissent donc à désirer, particulièrement celle de LDLC, la marque qui sponsorise l’équipe d’esport lyonnaise du même nom, qui a réagi en balayant l’affaire et promettant que « cela ne se reproduirait plus », confirmant qu’elle avait été au courant, déjà en 2018, de cette remarque, qui s’apparente pourtant juridiquement à du harcèlement sexuel.

Twitch promet depuis longtemps de faire en sorte que ses règles soient mieux appliquées et que la communauté soit plus saine pour ses utilisateurs. Dès 2018, Twitch avait en effet encouragé ses usagers à « leur demander des comptes ». Malheureusement, plus de deux ans après, peu de choses ont changé.

Contactée par Numerama, la plateforme nous assure « regarder avec attention le moindre signalement », notamment « les accusations de sexisme portant sur les comptes affiliés Twitch,  les Twitch Partner ou les business partners », précise-t-elle. Les sanctions pourront aller de l’arrêt du partenariat à l’exclusion, et elles seront basées sur « la crédibilité des accusations » et sur « l’historique de comportement du joueur ». Cette notion d’historique de comportement reste cependant floue, de même que celle de la crédibilité des accusations. Si personne n’a de preuves des insultes reçues lors d’une partie, qui la plateforme choisira-t-elle de croire ? Si les faits remontent à plusieurs années, pourront-ils être sanctionnés ? Twitch a également indiqué qu’elle ne pouvait pas à l’heure actuelle « communiquer sur toutes les opérations en cours, afin de respecter la vie privée des personnes concernées ».

Riot Games, l’éditeur de League of Legends et de Valorant, est pour l’instant le seul à avoir annoncé de nouvelles régulations. Le studio a annoncé ce lundi 22 juin la mise en place de nouveaux outils pour faciliter le signalement de joueurs toxiques ou ne respectant pas les règles de la commuant. Pour l’instant seulement implémentée sur les serveurs Corée et Amérique du Nord, cette mise à jour n’a malheureusement pas encore de date de lancement en Europe.

Cet article a été mis à jour le 23 juin à 18h afin d’ajouter la réponse de Twitch. 

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