Mathieu Bablet sort sa nouvelle bande dessinée chez Ankama, Carbone & Silicium. Une œuvre déjà importante dans le paysage cyberpunk français.

Mathieu Bablet a déjà commencé à se faire un nom dans la bande dessinée grâce à La Belle Mort en 2011, puis à Adrastée en 2013 et à Shangri-La en 2016. En cette rentrée littéraire de septembre 2020, Mathieu Bablet livre une BD de science-fiction de haut niveau, apte à marquer de son empreinte le cyberpunk français.

C’est d’abord en raison de l’ambition de l’auteur avec ce qui est un véritable pavé : 272 pages bien remplies — clairement, il s’agit d’un bel objet, qu’on garde précieusement, voire que l’on expose fièrement. L’épaisseur de la BD vient avec un souci de la précision, un travail d’orfèvre tant sur les traits que la mise en scène. La colorisation minutieuse, variée, expressive, est l’un des points forts tant les couleurs participent à « raconter » l’histoire (comme toujours avec les œuvres de Mathieu Bablet).

Carbone & Silicium. // Source : Ankama/Mathieu Bablet | Photo Numerama

Carbone & Silicium.

Source : Ankama/Mathieu Bablet | Photo Numerama

Cette ambition n’est pas qu’esthétique. Le dessinateur dresse une histoire du futur qui s’étend sur des décennies et des décennies. Certains chapitres sont assez courts, d’autres beaucoup plus longs. Ce rythme procure une sensation de vertige tant on a l’impression d’avancer rapidement, mais sans en manquer une miette, dans l’avenir.

Introspection futuriste

Le titre de la BD provient de ses deux personnages principaux, deux intelligences artificielles androïdes nommées Carbone et Silicium. Elles ont été créées en plein cœur de la Silicon Valley, par l’entreprise fictive Tomorrow Foundation. L’intégralité des connaissances réunies par l’humanité depuis l’invention de l’écriture leur a été téléchargée. Par sécurité, autant que par souci de développer des IA conscientes (et donc conscientes de la finitude de l’existence), les scientifiques leur ont inclus une date de péremption. Elles s’étendront après 15 ans. Enfin, tout du moins, c’est ce qui était prévu.

Carbone & Silicium. // Source : Ankama/Mathieu Bablet | Photo Numerama

Carbone & Silicium.

Source : Ankama/Mathieu Bablet | Photo Numerama

Que les personnages principaux soient des IA ne vous y trompe pas, le sujet de la bande dessinée est avant tout, voire exclusivement, l’humanité. Carbone & Silicium est en toile de fond le récit d’une lente apocalypse environnementale — de nombreux paysages ont d’ailleurs une impression post-apocalyptique. On sent que cette déliquescence est plus que matérielle, que ce n’est pas une « simple » fin du monde. Ce qu’on perçoit, c’est plutôt une forme de… fatigue. La bande dessinée raconte presque une apocalypse intérieure, dans une dimension philosophique, voire spirituelle.

Les protagonistes, Carbone ainsi que Silicium, ne vont pas foncièrement s’intéresser aux enjeux purement politiques, sociaux et économiques. Leur quête initiatique se forge dans des interrogations sur l’individualité, sur la place de chaque être conscient dans le collectif et les responsabilités qui en découlent. La vision présentée par Mathieu Bablet est donc très introspective. Une introspection sur ce qu’est l’humanité, à travers des êtres qui deviennent progressivement toujours plus humains, pendant que les humains de chair, eux, semblent devenir de moins en moins humains.

Carbone & Silicium. // Source : Ankama/Mathieu Bablet | Photo Numerama

Carbone & Silicium.

Source : Ankama/Mathieu Bablet | Photo Numerama

Il en résulte une bande dessinée puissante. Elle vous secoue, tant ce futur fait écho au présent. Les planches vous travaillent entre chaque chapitre et encore bien après l’épilogue. Enfin, si ce récit est avant tout cyberpunk et pas toujours bien joyeux, il navigue aussi parfois sur les rives du post-cyberpunk, là où l’espoir ne meurt jamais vraiment et où la renaissance est inscrite comme potentialité.

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