La plateforme de streaming vidéo française n’est pas encore lancée qu’elle fait déjà l’objet de nombreuses critiques. Si les doutes et critiques peuvent être saines, une question se pose tout de même : pourquoi tant de haine ?

« Netflix doit trembler », « Tout ça pour revoir des épisodes de Joséphine l’Ange Gardien et Plus Belle la Vie »… Les commentaires dédaigneux sur Salto s’égrainent et se ressemblent. Mais la plateforme de streaming vidéo française, qui sera officiellement lancée en France le 20 octobre 2020, mérite-t-elle vraiment tant de mépris ? Peut-on vraiment reprocher aux acteurs français d’essayer de formuler une proposition alternative, avec des contenus hexagonaux et européens ?

Salto porte en partie la responsabilité de ces moqueries, notamment à cause d’une communication qui a été, par le passé, assez peu habile. On se souvient par exemple quand la présidente de France Télévisions avait, en 2018, présenté le service comme un futur « champion européen qui pèse(rait) sur la scène mondiale ». Ou encore depuis 2014, cette envie d’un responsable de TF1 de créer un « Hulu à la française ».

Aujourd’hui, les équipes en sont largement revenues — ce sont plutôt les médias qui ont continuellement présenté Salto comme le « concurrent de Netflix », alors même que les entités ne jouent absolument pas dans la même cour. Thomas Follin, le directeur général de Salto, l’a assumé au cours d’une conférence de presse en ligne à laquelle Numerama a assisté le 15 octobre : « D’ici une dizaine d’années, Salto ne sera pas incontournable dans le monde, mais Salto sera incontournable pour tous les publics français. »

Cette humilité est pertinente : Netflix est le leader (en janvier 2020, un Français sur 10 payait un abonnement à la plateforme américaine), et il faut réussir à se positionner « à côté ».

Preview de l'interface de Salto

Preview de l'interface de Salto

Pourquoi se moquer de Plus Belle La Vie ?

Évidemment, Salto est loin de bénéficier du même budget que les autres offres de streaming majeures sur le marché : on parle d’entre 135 et 250 millions d’euros au total (c’est à peu près le coût de une à deux saisons de Game of Thrones), que les trois actionnaires TF1, France Télévisions et M6 se sont engagés à mettre sur trois ans. C’est une goutte d’eau par rapport aux autres, mais qui a quand même permis à l’entreprise de vanter un catalogue correct pour son lancement :

  • Au moins une série en avant-première (Ils étaient dix, avant sa diffusion sur M6),
  • Des programmes français cultes (Un Village français, qui était un temps sur Netflix France et qui n’est actuellement plus disponible qu’en VOD, ou bien les programmes Munch ou Alex Hugo) ;
  • Des programmes américains en H+24 (Fargo, Bull, etc) ;
  • Des séries étrangères reconnues (Downton Abbey, Buffy contre les vampires, la très bonne Parks and Recreation, inédite en SVOD en France) ;
  • Des séries inédites en France, mais déjà diffusées à l’international (Double Vie, Evil, Egoïste) ;
  • Des épisodes en avant-première, comme ceux de l’émission de télé-réalité l’Amour est dans le Pré (dont les épisodes seront sur Salto une semaine avant leur diffusion sur M6) ou ceux de Plus Belle la Vie, Un si grand soleil et Les Mystères de l’amour deux jours avant.

L’attaquer sur ces programmes revient à céder légèrement à la facilité, voire une certaine forme d’élitisme. Oui, Salto ne sera pas la plateforme qui produira en exclusivité le prochain Stranger Things, mais ce qu’elle propose correspond aussi à ce que recherchent certains spectateurs et spectatrices. La série Plus Belle la Vie peut parfois être moquée, mais elle est l’une des plus grandes réussites française du genre, ayant réussi depuis 15 ans à produire de nombreux épisodes dans l’ère du temps, embauché énormément de scénaristes français talentueux, et produit des saisons de programme à la chaîne dans une logique quasi-industrielle, que l’on envie généralement aux Américains.

En termes de nouveautés, le catalogue de Disney+ en France n’est pas vraiment beaucoup plus étoffé : on trouve chaque mois une poignée de nouveaux contenus, régulièrement des vieux films ou des dessins animés peu connus. À son lancement en avril 2020, la plateforme avait 150 séries et 300 films à présenter, dont seulement 26 complètement originaux et exclusifs. En sa faveur toutefois, Disney+ peut compter sur un catalogue prestigieux de franchises mondialement connues, de Star Wars à Marvel en passant par ses dessins animés.

Un prix élevé pour une offre pas encore détaillée

Certains questionnements sur Salto sont, bien sûr, audibles. Les tarifs annoncés par l’équipe française, par exemple, semblent élevés par rapport aux autres acteurs du marché. À 6,99 euros l’abonnement un écran, le service de SVOD français est à peine 1 euro moins cher que le géant Netflix qui produit des nouveaux contenus originaux chaque semaine. De même, l’offre est au même tarif que ce que Disney+, qui propose tout de même 4 écrans en simultané et 7 profils.

On pourrait avancer le fait que Salto combine à la fois de la SVOD et des chaînes en direct, ce qui ferait d’elle une offre complète. Malheureusement, c’est aussi un argument qui peut se retourner contre elle : Salto ne diffuse par internet que des chaînes qui sont déjà gratuites. Il est donc difficilement concevable d’en faire un outil marketing — d’autant plus qu’il est fort probable que le flux qui sera diffusé en direct contiendra les mêmes coupures pubs que sur les chaînes hertzienne. Cela revient donc globalement à proposer dans un « package » payant une offre qui est gratuite — il est tout à fait possible de regarder TF1 en direct sur le site officiel de la chaîne, par exemple.

Preview de l'interface de Salto

Preview de l'interface de Salto

Autre point noir, l’absence totale de création originale sur Salto, qui devrait être palliée seulement d’ici le « cours de l’année 2021 », ont précisé les équipes de la plateforme le 15 octobre. Il faut dire que Salto n’a pas eu de chance : d’une, la pandémie de coronavirus a forcé à l’arrêt de nombreux tournages, ralentissant la production de nouveautés françaises. De deux, il est forcément difficile pour les représentants d’une plateforme qui n’existe pas encore d’aller négocier les droits d’une série exclusive avec des producteurs, qui ont encore toutes les raisons de se tourner vers chaînes de télévision linéraires classiques, ou des plateformes web gratuites qui cartonnent, comme FranceTVSlash.

Certes, les promesses de Salto peuvent pour l’instant laisser dubitatifs. Il serait toutefois injuste de ne pas lui reconnaître le mérite d’exister, enfin, après des années de bataille et d’innombrables contraintes extérieures, et de tenter de proposer une offre française complémentaire à ce qu’il existe déjà sur le marché. Qui sait, peut-être que les 18 millions de Françaises et Français désormais contraints au couvre-feu se prendront de passion pour des programmes auxquels ils n’avaient jamais pensé jeter un œil jusqu’ici.

Source : Montage Numerama

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