En 2018, nous écrivions, à propos d’Assassin’s Creed Odyssey, qu’il n’était pas le plus Assassin’s Creed des Assassin’s Creed. Un an plus tôt, après une pause salutaire, la saga phare d’Ubisoft avait entamé une mue avec l’épisode Origins — qui n’a jamais aussi bien porté son nom. L’idée est d’en finir avec l’excès d’opportunisme (un opus inédit tous les ans) et de lorgner un peu plus vers les ténors du monde ouvert (The Witcher 3: Wild Hunt, en tête). Après une nouvelle année en jachère, Assassin’s Creed Valhalla confirme cette orientation délaissant les bases posées par le tout premier Assassin’s Creed.
Car, autant l’affirmer tout de suite, Assassin’s Creed Valhalla n’est jamais aussi bien que quand il ne parle pas d’Animus, d’Abstergo, des Assassins, des Templiers… Bref, de tous les mots-clés qui ont fait de la licence ce qu’elle est devenue. Aujourd’hui, Assassin’s Creed permet surtout à Ubisoft de se plonger dans l’Histoire, avec une reconstitution d’une époque la plus crédible possible (la force du studio). Avec Valhalla, le voyage passe par plusieurs pays mais se concentre sur une Angleterre à conquérir dans la peau d’une ou d’un Viking.
Oubliez les Assassins
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’Ubisoft a fait des efforts en matière de mise en scène, tout au moins pour l’introduction, qui donne un effet vraiment « coup de poing ». Parfois maladroite dans sa manière de présenter les choses, la firme française dépeint une bande de Vikings obligée de quitter sa terre à la recherche d’une autre. De ce point de départ s’ensuit une simulation d’envahisseur, sous fond de jeu de pouvoir, d’alliances, de choc des cultures, de trahisons, sans oublier cette petite couche de mystère liée au folklore nordique. La galerie de personnages est inspirée tandis que les dialogues sont ciselés. Hélas, ces beaux élans narratifs finissent par se noyer dans une structure ouverte un peu trop garnie — le péché mignon des derniers Assassin’s Creed.
En revanche, la surcouche AC ressemble presque désormais à un boulet à traîner. Assassin’s Creed Valhalla s’articule autour d’un contresens difficile à éviter : a-t-on vraiment envie d’être un Assassin discret quand on est un Viking qui veut faire du bruit et s’emparer de territoires ? De surcroit, Ubisoft ne fait rien pour introduire intelligemment les ingrédients du méta-univers, c’est même presque forcé : « Coucou, je te présente Jean-Michel, membre d’une confrérie ‘’’’’secrète’’’’’ ». L’instant d’après, ledit Jean-Michel, qui ne nous connaît ni d’Ève ni d’Adam, nous confie la fameuse lame secrète, devant le regard circonspect de son apprenti. Après avoir tué le premier boss important, Jean-Michel revient à la charge pour nous demander s’il s’agissait bien d’un ennemi de sa caste. Véridique.
Une réussite technique
Nous avons pu tester Assassin’s Creed Valhalla sur Xbox Series X, la console la plus puissante du moment. Si le titre paye parfois son statut de jeu « entre deux générations » sur certaines textures moins fouillées, force est de reconnaître qu’il affiche un rendu très chatoyant. Il suffit d’apprécier la profondeur de champ vertigineuse pour s’en convaincre : les vastes étendues norvégiennes s’étendent à perte de vue. C’est bluffant, sachant qu’Ubisoft s’est surtout concentré sur les décors, remplis de détails (et d’animaux !), de petites particules qui volent sans mettre à mal le moteur 3D ou encore d’effets d’éclairage réalistes (sans ray tracing). La Xbox Series X permet à Assassin’s Creed Valhalla de respirer et, surtout, d’offrir un framerate stable qui titille les 60 fps, garantissant une fluidité appréciable dans les mouvements de caméra.
La réussite technique d’Assassin’s Creed Valhalla est rarement entachée. On a bien noté quelques petits soucis : des déchirements d’écran pendant les cinématiques, des éléments qui apparaissent tardivement, des bugs de script… On les oublie cependant en contemplant les environnements anglais, très accueillants quand ils ne sont pas jonchés de cadavres. Au rang des autres déceptions, on aurait aimé que les personnages bénéficient du même soin. Ils manquent d’un peu de finitions, que ce soit sur les visages ou bien les tenues.
À la conquête de l’Angleterre
Quand on se penche sur un Assassin’s Creed, on craint toujours d’avoir à composer avec des combats décevants. On avait observé un peu de mieux dans Odyssey et on se demandait comment Ubisoft allait faire évoluer ces bases dans Valhalla. Malheureusement, les affrontements — sanglants — sont encore loin d’être 100 % satisfaisants. Le côté ‘guerre des clones’ est heureusement de l’histoire ancienne, mais il y a encore des déséquilibres à souligner. Concrètement, Assassin’s Creed Valhalla s’efforce d’être un élève des Dark Souls, avec jauge d’endurance à gérer et attaques ennemies à apprendre, en beaucoup plus accessible.
Eivor, la héroïne ou le héros, dispose de deux attaques : la légère permet de récupérer l’endurance consommée par la plus puissante et les esquives. Il ou elle peut par ailleurs parer certaines attaques pour faire baisser la défense adverse et porter un coup presque fatal. Sur le papier, le système a l’air complexe — surtout en ajoutant les aptitudes à débloquer. À l’arrivée, l’approche voulue par Ubisoft accouche finalement de deux situations : soit on tue à la pelle, soit on n’a tout simplement aucune chance. Alors qu’il est permissif la plupart du temps, il arrive à Assassin’s Creed Valhalla de punir sans que l’on comprenne vraiment pourquoi.
On s’y croit sur notre drakkar
Au fur et à mesure que l’on gagne des points d’expérience, Eivor est de plus en plus puissant(e). Le niveau sert d’indice pour savoir si, oui ou non, on peut se rendre dans une région sans craindre la mort. À ce sujet, on retrouve une progression classique.
Ubisoft n’a pas révolutionné non plus la personnalisation : il est possible de choisir l’équipement d’Eivor et de le faire évoluer en conséquence. L’arsenal est varié — hache, hachette, épée, lance, arc — pour autoriser diverses possibilités. Là encore, la formule est rodée et Assassin’s Creed Valhalla s’en remet à un cahier des charges attendu. Même les phases de conquête n’ont rien d’exaltant : on arrive sur un lieu et on remplit les objectifs dictés pour conclure le siège, l’ambiance faisant le reste.
Assassin’s Creed Valhalla est à son meilleur quand il laisse au joueur le plaisir de la découverte. On parcourt une carte — beaucoup moins étendue que celle d’Odyssey (ouf…) — à la recherche de LA capture d’écran magnifique à partager. Il y a toujours quelque chose à voir dans Assassin’s Creed Valhalla et matière à s’étonner sur la faune et la flore intégrées par les développeurs (on a par exemple croisé un… phoque). L’exploration est un peu plus dirigiste que les canons du genre, mais le blockbuster a pour lui ce sens inouï de la reproduction. On s’y croit sur notre drakkar. On s’y croit sur notre cheval.
La générosité d’Ubi
On connaît l’immense générosité d’Ubisoft quand il s’agit de remplir un monde ouvert, très souvent en copiant-collant des tâches annexes un peu partout. Assassin’s Creed Valhalla ne déroge pas à la règle, ce qui lui offre une durée de vie immense (des dizaines et des dizaines d’heures). À l’instar d’Odyssey, il tombe parfois dans l’accumulation de quêtes appartenant à divers arcs, jusqu’à risquer de perdre le joueur. Entre l’invasion des territoires anglais, le voyage personnel d’Eivor et les cibles des Assassins à éliminer (eh oui), cela fait beaucoup pour un seul jeu. Assassin’s Creed Valhalla gagnerait sans doute à être moins dense et plus ramassé. Là, il donne trop l’impression de s’éparpiller — et le joueur découragé avec.
Dans tous les cas, vous en aurez pour votre argent. On sent qu’Ubisoft veut occuper le joueur pendant plusieurs semaines, voire mois (jusqu’à la sortie du prochain en 2022 ?). Pour cela, la multinationale n’a pas hésité une seconde à recycler certaines idées du passé : les points de synchronisation pour révéler trésors, mystères et artefacts à proximité, les chasseurs de prime qui sont difficiles à battre, le camp principal à faire évoluer (comme dans Far Cry Primal, sorti en 2016)… Il y a tellement de choses à faire que l’interface en devient parfois illisible (quand les icônes s’empilent dans la barre de navigation). Le trop peut être l’ennemi du bien.
Malgré ces petits défauts que l’on commence à connaître avec la saga — et les productions d’Ubisoft au sens strict –, on ne voit pas les heures défiler dans Valhalla. Il donne vraiment envie de porter l’armure d’un viking et de jouer au jeu de la conquête. À contrario, on a beaucoup moins envie de perdre notre temps à assassiner de manière ultra discrète. Odin ne nous a pas armés d’une hache pour faire dans la dentelle. Là se trouve tout le paradoxe d’Assassin’s Creed Valhalla.
Le verdict
Assassin’s Creed Valhalla
Voir la ficheOn a aimé
- Très joli (sur Xbox Series X)
- Des efforts sur la mise en scène et les dialogues
- Un contenu ultra généreux
On a moins aimé
- Des combats encore perfectibles
- L'argument des Assassins devient risible
- Un jeu qui a tendance à s'éparpiller
Brillant de mille feux sur Xbox Series X, Assassin’s Creed Valhalla ne surprendra pas grand monde. Ubisoft continue de peaufiner les bases posées en 2017 par Assassin’s Creed Origins. L’emphase sur le genre RPG est aujourd’hui assumé à 100 % et, pierre par pierre, on arrive à une forme de consécration.
S’il donne envie d’incarner un Viking charismatique dans une vaste conquête, Assassin’s Creed Valhalla délaisse volontiers l’ADN de la franchise. Il s’en débarrasse en rattachant maladroitement certains wagons, preuve qu’Ubisoft ne sait plus quoi faire des choses qui faisaient autrefois le sel de sa saga. Finalement, dans le sillage d’Eivor, Assassin’s Creed a eu besoin de quitter ses terres natales pour se retrouver.
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