Le nouveau film d’animation sorti des studios Pixar, Soul, est un chef-d’œuvre. Pour étayer cette affirmation, on pourrait parler de l’écriture digne d’un conte philosophique — empreinte autant de spiritualité que de réalisme et d’humour — ainsi que de la patte artistique qui combine étonnamment la simplicité et l’originalité. Disponible depuis le 25 décembre 2020, Soul mérite largement les éloges qu’il reçoit depuis.
Ce voyage poétique au cœur de questionnements existentiels mérite toutefois le qualificatif de chef-d’œuvre pour une raison plus pure encore : il s’adresse aussi bien aux très jeunes qu’aux adultes. Et nous ne parlons pas là de « niveaux de lecture ». S’il y avait deux ou trois niveaux de lecture, ce serait peut-être plus classique. Non, Soul est tout à la fois un film pour enfants et un film pour adultes. Il y a un niveau de lecture commun, atteignant une universalité rare au cinéma. La démarche est d’ailleurs positive tant pour l’image que l’on se fait de l’âge adulte, que pour celle que l’on se fait de l’enfance.
Deux quêtes, un même questionnement
« Ce soir-là j’ai su que j’étais fait pour être pianiste. Connie sait de quoi je parle », affirme Joe. « Je n’ai que 12 ans, monsieur », reçoit-il comme réponse de la part de l’enfant. Dès lors, la cassure originelle que notre société perçoit entre l’adulte et l’enfant est posée.
Adulte, la vocation est déjà toute trouvée, le chemin est tracé et il faut s’accomplir dans celui-ci. On se « trouve » durant l’enfance ou l’adolescence, période durant laquelle, jusqu’à l’apparition de ce choix, nous sommes censés ne pas avoir encore de raison d’être. C’est une perception chronologique de l’existence. La suite du film brise cette dichotomie artificielle entre âge adulte et enfance.
Soul repose sur deux personnages : une âme adulte, Joe (Omar Sy), et une nouvelle âme, 22 (Camille Cottin). Leur histoire est sensiblement différente, leurs motivations aussi, leurs âges également. Pourtant, leur quête initiatique repose sur la même problématique existentielle : qui suis-je, quelle est ma place en habitant ce monde, à quoi je me destine dans la vie ? Ces questionnements sur notre définition en tant que personne humaine apparaissent de façon différente en fonction de l’âge du personnage, mais ils n’en demeurent pas moins les mêmes.
Comment et pourquoi habiter le monde ? Une question que se posent aussi bien les adultes que les enfants
Pour Joe, la quête est celle de quelqu’un d’installé dans la vie. Il a donc déjà une structure de pensée socialement arrêtée sur qui il est, voire sur ce qu’il doit être, vouloir, avoir afin d’être une personne accomplie. Son cheminement existentiel au fil du film va amener des questions propres à faire vriller cette structure. De son côté, 22, « nouvelle âme », proche d’une enfant dans sa représentation, se croit déjà face à l’injonction de trouver absolument sa flamme : elle pense avoir à déterminer au plus tôt qui elle doit être, vouloir, avoir, afin d’avoir le droit de devenir une vraie personne. Là encore, son cheminement l’emmène bien au-delà des conceptions préétablies.
Pour les deux protagonistes, il est pareillement essentiel d’affronter le problème du sens de la vie, comment et pourquoi habiter le monde, pour s’épanouir. Dans les deux cas, l’injonction structurelle qui vient contraindre la définition de la raison d’être est à la fois sociale et intériorisée.
Universalité de la raison d’être
En toile de fond de ces questions — et réponses ? — fortes que réussit à poser le film sur l’existence, c’est sa façon de les poser qui est marquante. Soul souligne que l’on grandit à tout âge, et son message essentiel est que notre raison d’être n’est absolument pas définie par nos choix de vie. Se trouver va bien au-delà de choisir « la bonne passion », la bonne orientation pédagogique, le bon métier. Pour l’adulte, cela rappelle qu’il n’y a pas d’âge pour avoir le droit de se questionner, pour voir sa personnalité ou sa vision des « choses de la vie » évoluer. Pour l’enfant, le film invite à se libérer du poids des choix de vie originels et, montre que les adultes peuvent être face aux mêmes problèmes existentiels.
« Comment et pourquoi habiter le monde » est universel.
L’approche est libératrice. Car cette universalité du récit explique pourquoi Soul est si apaisant à regarder : son message est cohérent avec son intention. Au même titre que Joe et 22 apprennent en somme à penser « en dehors de la boîte » pour apprendre à vivre pleinement, le film ne cherche pas à cataloguer ses spectateurs. Il s’adresse à nous en tant que personne humaine socialement dénudée. Autant de bienveillance réelle, portée par un récit si poétique, était la meilleure façon de passer à 2021.
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