Quelques années après la brillante trilogie de La Terre fracturée et trois prix Hugo pour cette œuvre (du jamais-vu), l’écrivaine américaine NK Jemisin s’est lancée dans une nouvelle saga littéraire ambitieuse : Genèse de la Cité. Le premier tome, Megapoles, vient de paraitre, début février 2021, en France (traduit par Michelle Charrier).
Dans cette nouvelle œuvre, à la confluence entre SF et Fantasy urbaine, les mégapoles se transforment en véritables entités vivantes, dont chaque quartier est personnifié par un habitant ou une habitante. Le premier protagoniste que nous rencontrons, Manny, se réveille un jour, dans le métro, en ayant oublié la plupart de ses souvenirs, mais en sachant une chose : il est Manhattan. Il croisera la route de Brooklyn et autres quartiers de la ville, eux aussi personnifiés.
Tout cela est guidé par un enjeu : des forces du mal sont en éveil depuis les profondeurs de la ville, des créatures ténébreuses aux allures lovecraftiennes qui menacent l’intégrité de la cité, et donc de sa population.
N.K. Jemisin libère les forces telluriques, même en ville
Fidèle à sa plume, N.K. Jemisin fait de chaque description, de chaque scène, un instant homérique et charnel. Même quand ses personnages ne déplacent pas des montagnes (littéralement) comme dans La Terre fracturée, ses récits semblent sans cesse libérer les forces telluriques de notre planète ; ses forces enfouies au sens large.
N.K. Jemisin nous livre une écriture dense et fébrile, presque à la manière d’une chamane. Elle sait parfaitement mettre du grandiose dans son œuvre, sans jamais négliger la psychologie intime des protagonistes de cette odyssée.
Il faut bien admettre, cependant, que la verbe de NK Jemisin est légèrement moins intense dans La Genèse de la Cité que dans le cycle de La Terre fracturée. Certaines descriptions, proches de circonvolutions parfois un peu artificielles, font perdre du rythme au récit, tout particulièrement au milieu du roman. Mais la poésie de sa plume, l’intérêt que l’on a envers le récit et la psychologie fouillée des personnages, contrebalancent les moments d’ennui provoqués par ces lenteurs passagères. Les lecteurs et lectrices de La Terre fracturée seront conquis.
Fresque sociale
La Genèse de la Cité est une fresque sociale plus mordante encore La Terre fracturée en raison de son contexte présent, urbain, si proche de nous. S’appuyant sur des personnages racisés, ou discriminés pour leur genre, ou issus de minorités sociales, N.K. Jemisin met sa plume au cœur des fractures socioculturelles et sociopolitiques qui peuvent structurer une ville de l’ampleur de New York.
En ce sens, l’idée d’une Genèse de la Cité fait référence à l’humanité derrière l’image de carte postale d’une mégapole. Le titre originel du roman en VO est peut-être plus parlant encore : The City We Became ; la ville que nous sommes devenus.
La romancière fait de New York une entité vivante, au sens propre, mais cette vie nait de tous ses habitants, toutes ses habitantes, qui, par leurs similitudes et différences, forgent bien plus encore qu’une communauté : un grand tout, un ensemble. Chaque quartier est un organe, chaque être est une cellule. Tout ce que chacun et chacune a fait, ressenti, pensé, contribue à nourrir ce grand tout.
Même si le rythme est moins viscéralement intense que dans la Terre fracturée, N.K. Jemisin confirme, avec Genèse de la cité, son talent pour nous emmener dans des sagas ambitieuses, où des destins imaginaires odysséens font écho à nos réalités à taille humaine.
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