« Notre but est de montrer aux gens que nous ne faisons pas un Call of Duty », explique Peter Tamte, cité par Polygon dans un article publié le 15 février. À la tête de l’éditeur Victura, il n’a actuellement qu’un seul objectif en tête : sortir le jeu vidéo Six Days in Fallujah, un projet controversé qu’avait abandonné Konami à la fin des années 2000. Il faut dire que le sujet est particulièrement sensible : il dépeint les événements de la seconde bataille de Falloujah, ville qui fut le théâtre d’un affrontement crucial pendant la Guerre d’Irak et aurait fait 800 victimes civiles, selon la Red Cross.
Basé sur un événement tragique comportant plusieurs zones d’ombre, Six Days in Fallujah a donc été annulé pour de bonnes raisons, sous la légitime pression des familles des victimes. Mais Peter Tamte estime avoir des arguments recevables pour prouver aux gens que le jeu vidéo mérite d’exister. Il y a d’abord l’inévitable volet politique, réfuté par l’intéressé. « Nous n’essayons pas de faire un essai politique pour affirmer si, oui ou non, la guerre était une bonne idée », estime-t-il. En 2009, Konami ne disait pas autre chose : « Nous ne faisons pas un commentaire social. Nous ne sommes pas pro-guerre (…). Nous voulons juste proposer une expérience divertissante. »
Une expérience divertissante, certes, mais avec un socle d’atrocités avérées.
Le mirage de l’authenticité comme moteur
Bien évidemment, Peter Tamte se range derrière l’authenticité pour justifier cette volonté d’offrir une chance à Six Days in Fallujah, attendu cette année sur PC, PS4, PS5, Xbox One, Xbox Series S et Xbox Series X. Elle se base sur plusieurs dizaines de témoignages de personnes impliquées dans le conflit (sphères militaire comme civile). Six Days in Fallujah va même encore plus loin en intégrant des vraies personnes, à l’image du Sergent Eddie Garcia, modélisé dans le jeu.
« Le message que j’ai le plus entendu de la part de ceux ayant perdu des proches dans la bataille est qu’ils ne veulent pas que le sacrifice de leurs enfants ou de leurs amis soit oublié. Même ceux qui étaient opposés à la Guerre d’Irak », justifie Peter Tamte, qui souhaite mettre en avant l’héroïsme des soldats et des gens piégés dans la ville. Il y aura par exemple une mission d’infiltration mettant en scène un civil irakien non armé. En revanche, il n’est pas question de voir le point de vue de l’autre camp.
Il y a aussi le devoir de mémoire et, sur ce point, Peter Tamte entend la levée de boucliers. Pour autant, il semble ne pas vraiment la comprendre : « Nous avons fait des jeux sur les autres guerres qui n’ont pas attiré l’attention et n’ont pas engendré une controverse. Fondamentalement, l’objection concerne la Guerre d’Irak. Je ne pense pas qu’une autorisation soit nécessaire pour cette bataille en particulier. » Mais encore faut-il qu’elle soit dépeinte en prenant en compte tous les éléments qui la composent. C’est là où Six Days in Fallujah pêche et devient une production plus politique que veut bien le faire croire Peter Tamte.
L’une des plus grandes atrocités liées à la bataille de Falloujah concerne l’utilisation de bombes au phosphore blanc — dénoncée par un article du Washington Post et classée comme un crime de guerre par l’ONU. Sur ce fait, Peter Tamte indique : « J’ai deux problèmes avec l’inclusion de la bombe au phosphore blanc. La première est qu’elle n’a jamais été mentionnée dans les histoires que m’ont racontées les gens, je n’ai donc aucun témoignage factuel et authentique auquel me référer. C’est le plus important. La deuxième est que je ne veux pas intégrer des choses sensationnelles qui distrairaient les joueurs de l’expérience. »
Il y a un double discours dans les propos de Peter Tamte. D’un côté, il vante l’authenticité de son jeu et défend la représentation de la Guerre d’Irak, ce que l’on peut entendre. Mais, de l’autre, il est prêt à omettre certains faits qui posent problème, d’un point de vue politique, pour ne pas tomber dans le sensationnalisme. Il s’agit donc d’une décision qui n’est absolument pas « apolitique » ni neutre. De plus, en soi, choisir la Guerre d’Irak comme terrain de jeu est déjà sensationnel. À la décharge de Peter Tamte, il n’est pas le seul à prôner un faux positionnement apolitique : Activision a été pris en flagrant délit lui-aussi avec Call of Duty: Modern Warfare, dont certaines séquences sont clairement anti-russes.
Au-delà des polémiques et des connotations politiques, Six Days in Fallujah serait une expérience tactique pensée pour aider les joueurs à « comprendre la complexité des combats urbains. » Si c’était vraiment l’objectif, un conflit fictif aurait amplement fait l’affaire.
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