Quelques années après Un éclat de givre, Estelle Faye revient dans son univers post-apocalyptique dans Un reflet de lune, paru chez ActuSF sous une belle couverture cartonnée. Ce nouveau roman est narrativement indépendant du premier ; mais se situe dans le même futur et retrouve le même héros. Ne serait-ce pas l’occasion rêvée pour découvrir cet univers ? L’idéal serait de démarrer par Un éclat de givre, puis d’embrayer sur Un reflet de lune, mais rien n’interdit de faire l’inverse.
Une ode à l’art et la culture
Que tout s’effondre, mais pas l’art ! Ce merveilleux leitmotiv semble avoir guidé la plume d’Estelle Faye, et c’est aussi là toute l’originalité de ce Paris post-apocalyptique. Le héros, Chet, n’est autre qu’un artiste, chanteur et musicien de cabaret façon jazzman. La musique a certes perduré, mais la littérature aussi : Chet se fend de quelques visites chez des bouquinistes, prêt à dépenser une bonne partie de sa bourse pour un illustré ancien, apprend-on par exemple dans Un reflet de Lune.
La persistance de la culture offre à ce Néo-Paris de quoi puiser dans la vie pour dépasser la survie qui suit l’apocalypse. Les arts sont, dans l’univers d’Estelle Faye, le sel même de la vie. C’est peut-être par ce biais que la romancière nous offre une raison d’espérer et de croire en l’humanité. Les deux romans sont relativement sombres, mais pas pessimistes. Estelle Faye nous imprègne finalement de l’idée qu’aucun monde effondré ne saurait détruire ce qui nous relie et étend nos horizons : nos arts, nos écrits, nos chants, nos pièces de théâtre. À vrai dire, en 2020-2021, cela résonne en nous d’une façon plus puissante que jamais.
Paris transfigurée
La ville de Paris décrite par Estelle Faye a subi pas mal de cataclysmes, elle s’est effondrée et ressemble maintenant plutôt à ce qu’elle était lors des siècles préindustriels. La nature y a repris ses droits. Dans le chaos post-apocalyptique, certains lieux sont devenus inquiétants, si ce n’est extrêmement dangereux. Dans les basfonds, l’atmosphère est souvent glauque. Mais sous la plume de la romancière, cela reste malgré tout un Paris plein de charme, si ce n’est envoutant.
« Je chante à l’Opéra Garnier, ce soir. Pas sur la scène, mais sur les toits »
« Je chante à l’Opéra Garnier, ce soir. Pas sur la scène, mais sur les toits. Ou plutôt les terrasses, qui ont pris la place des anciennes coupoles, des dômes de cuivre verdi dont j’ai trouvé quelques images dans les archives de la Sorbonne. » Néo-Paris nous laisse dépaysés dans un endroit que l’on peut reconnaitre pourtant bien en tant d’aspects.
À l’appui d’une plume très visuelle, mais aux descriptions néanmoins finement poétiques, Estelle Faye réussit à créer un véritable « décor » de scène tout au long d’Un éclat de givre et d’Un reflet de lune. Elle nous emmène dans tant de recoins que l’urbanité post-apocalyptique de Paris prend corps dans notre imaginaire. Pendant la lecture, ou dans les jours d’après, les Parisiens et Parisiennes, notamment, ne pourront pas s’empêcher de traverser la ville en pensant à ce que certains endroits sont devenus dans le monde de Chet.
Romans d’ambiance
« Avant de descendre sur les anciennes voies, la fille qui me guide met en marche un appareil cabossé pendu à sa ceinture, et qui vibre doucement sous la pluie. Un répulsif pour les renards, et pour les chiens errants qui chassent les rats dans les plantes. L’air embaume la végétation sauvage, un parfum qui vire à l’écœurant sous l’averse. Aucun réverbère ici. Ma guide tape contre sa cuisse une lampe à phosphorescence et un halo vert pâle nous enveloppe, rayé par les gouttes de pluie. » (Un reflet de Lune)
Oui, Estelle Faye sait créer une atmosphère. Celle-ci est tout à la fois merveilleuse et suffocante ; belle et effrayante ; à l’image de ce Néo-Paris. À la lecture d’Un éclat de givre et d’Un reflet de Lune, on voudrait fuir cette ville, qu’elle n’advienne jamais, mais ses odeurs et saveurs nous hypnotisent presque agréablement. Ce paradoxe est, en soi, captivant : on veut continuer à explorer cette ville et à rencontrer ses habitants, peut-être pour comprendre, comme des archéologues.
Une écologie de la mémoire
Se souvenir, apprendre des erreurs du passé pour bâtir un monde meilleur : comme toute œuvre de SF réussie, l’univers post-apo d’Estelle Faye se situe dans le futur, mais peut bien souvent se conjuguer au présent. « Notre époque n’a rien à envier au Monde d’Avant, en termes d’inventivité, dans les méthodes pour faire souffrir son prochain », lâche d’ailleurs un personnage dans Un éclat de givre. « La ville s’est à peine reconstruite que certains oublient déjà comment elle a été en grande partie détruite », avertit un autre dans Un reflet de lune.
« La ville s’est à peine reconstruite que certains oublient déjà comment elle a été en grande partie détruite »
Les deux romans se gardent bien d’user d’un ton culpabilisateur, mais ils restent sans pitié sur la responsabilité humaine dans les désastres écologiques ou les conflits violents — ces cataclysmes aptes à causer la perte de tout un monde, comme ce Néo-Paris en est la preuve fictive. Cette ville post-apocalyptique est le résultat d’une humanité qui n’arrive pas à apprendre de ses erreurs ; et qui poursuis, même après, encore et toujours, dans le même cycle. Mais cette même ville est aussi le théâtre d’une effusion artistique et sentimentale qui ne demande qu’à éclore toujours davantage pour créer un nouveau monde plus sain et plus riche. En fait, l’humanité a beaucoup à apprendre de Chet, ce jazzman d’un Paris post-apocalyptique.
Estelle Faye ne cherche pas particulièrement à « délivrer un message », son monde, ses personnages et ses décors parlent d’eux-mêmes ; une subtilité qui rend les deux romans encore poétiques qu’ils ne le sont déjà dans leur plume.
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