Les parlementaires sont nombreux à vouloir ajouter des actions et des obligations sur le numérique dans le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dont l’examen a commencé le 8 mars. C’est le cas de la 5G, de l’indice de réparabilité ou encore de Starlink. Mais c’est aussi le cas du streaming vidéo.
Plusieurs amendements ont ainsi été déposés entre le 26 février et le 2 mars, dont le point commun est de proposer la création d’un encart informatif sur l’impact carbone que représente le visionnage d’une vidéo. Ces amendements sont les 462, 584, 1714 et 3718 et, pour la plupart d’entre eux, ils proposent de se reposer sur l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie pour calculer l’indice.
Dans l’exposé des motifs, les parlementaires avancent que le streaming « est en forte augmentation » (par exemple, il est dit qu’il a augmenté de 72,4 % entre le premier trimestre 2018 et le premier trimestre 2019, sans toutefois préciser ce que représente ce pourcentage : le temps de visionnage, le volume de données transférées, etc.) et qu’un tel indicateur pourrait permettre de sensibiliser le public.
« L’affichage de la consommation de données et de ses conséquences environnementales est un moyen efficace pour informer les citoyennes et les citoyens sur l’impact de leurs pratiques numériques », est-il avancé. Des conseils pourraient aussi être prodigués par la même occasion, pour « réduire » cette empreinte. Par exemple, en conseillant de baisser la qualité d’une vidéo quand ce n’est pas nécessaire ?
Ce genre de renseignement existe en fait déjà, partiellement. En septembre 2020, nous avions découvert sur le service de SVOD MyCanal des mentions environnementales à côté du choix de la qualité de la vidéo (480p, 720p ou 1080p/4K). En prenant le 720p par exemple, le flux vidéo serait 35 % plus économe en émission de CO2 que le flux en qualité maximale. 70 % avec le 480p.
En version maximale, MyCanal indique dans l’exemple que l’émission en équivalent CO2 par heure de vidéo s’établissait entre 43 à 42 grammes. MyCanal invite au passage le public à envisager une définition plus basse : « le choix d’une qualité adaptée contribue à réduire notre empreinte carbone ». Ces mentions ne figurent pas (encore ?) sur les services concurrents, comme Disney+ ou Netflix.
« La sensibilisation des consommateurs sur l’impact environnemental de leurs usages numériques est un axe essentiel pour inciter à la sobriété des comportements. Elle passe par une information transparente sur l’impact carbone des consommations de vidéos », continuent les députés. En clair, montrer que les vidéos issues du cloud reposent sur des centres de données, des terminaux, des réseaux et de l’électricité.
Les élus avancent d’autres statistiques : ainsi, « le visionnage de vidéos en ligne a généré en 2018 plus de 300 mégatonnes de CO2, soit autant de gaz à effet de serre que l’Espagne, ou près de 1 % des émissions mondiales ». Ils ajoutent que « les flux vidéo représentent 80 % des flux de données mondiaux en 2018 et 80 % de l’augmentation de leur volume annuel ».
En France, le numérique en général (et pas que la vidéo) pèserait, selon les défenseurs de ces amendements, environ 2 % des émissions de gaz à effet de serre du pays.
Un poids dérisoire par rapport à d’autres secteurs économiques
Rien ne dit que ces quatre amendements survivront à l’examen législatif, qui a débuté le 8 mars en commission. En outre, si des actions sont sans doute requises pour rendre le numérique plus vertueux, il faut garder en tête certaines échelles : des secteurs comme le transport, l’industrie, l’agriculture et l’alimentation représentent des pourcentages bien plus conséquents dans l’émission de gaz à effet de serre.
D’autant que la situation peut être très différente d’un pays à l’autre. En France, il ne faut pas perdre de vue que l’électricité produite est globalement décarbonée, du fait de l’existence d’un vaste parc de centrales nucléaires, mais aussi d’un essor de sources d’énergies renouvelables, comme l’éolien ou le solaire. Et cette électricité sert aux centres de données, aux réseaux et aux terminaux. En tout cas en France.
Par ailleurs, il faut aussi tenir compte des avancées techniques dans le domaine de la vidéo. Un exemple récent : l’université de Nantes a reçu un Emmy award pour la création d’un algorithme de vidéo pour Netflix. Open source, il compresse au plus juste, en gardant un maximum de qualité. En clair, cela permet de réduire le poids d’une vidéo, à la fois en stockage, mais aussi en diffusion.
L’impact environnemental dans le numérique n’est pas si évident que cela à mesurer, car cela dépend de ce que l’on inclut dans le périmètre de la mesure et des outils que l’on retient pour la mesure. Sans parler du fait qu’une hausse ou une baisse peut être compensée : plus de vidéos, d’accord, mais des équipements de nouvelle génération (comme la fibre optique ou la 5G) sont aussi moins énergivores.
Dans les télécoms, il n’y a pas de hausse évidente d’émissions de gaz à effet de serre. On ne constate pas non plus de bond de la consommation électrique dans les centres de données, alors que la charge de travail a augmenté et le trafic Internet a explosé. Enfin, lors du débat sur la fin des forfaits Internet fixes en illimité, il a été rappelé qu’un un réseau vide coûte de toute façon à peu près autant qu’un réseau plein.
La création d’un indicateur d’émission de CO2 n’est sans doute pas totalement inutile, à supposer que la façon de l’établir fasse consensus. C’est toujours un pas supplémentaire en direction d’une sensibilisation accrue. Mais ces propositions paraissent anecdotiques — de simples infobulles sur des vidéos en ligne — face aux efforts beaucoup plus importants que la question climatique impose.
Le secteur des transports, par exemple, constitue a lui seul un tiers des émissions de gaz à effet de serre. Et dans ce tiers, la voiture pèse plus de la moitié (57 %) des émissions — sans parler du succès des SUV, qui joue contre la lutte contre le réchauffement climatique. Les échelles n’ont rien à voir avec les quelques pourcentages évoqués plus haut — qu’il faut certes contenir, voire réduire, il ne s’agit pas de dire le contraire.
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