En 2017, Warner Bros. avait encore l’espoir d’établir son propre équivalent du Marvel Cinematic Universe (MCU). Zack Snyder avait posé une première pierre prometteuse avec Man of Steel et, malgré des critiques contrastées, Batman v Superman : L’Aube de la Justice a rapporté près de 900 millions de dollars au box-office mondial. On était certes loin des 1,5 milliard du tout premier Avengers, mais l’univers DC Comics n’a jamais bénéficié du même soin dans la construction, film après film. Et puis est sorti Justice League, blockbuster très ambitieux articulé autour de la réunion de plusieurs super-héros — le fantasme des fans.
Justice League est la suite directe de Batman v Superman : L’Aube de la Justice. La disparition de Superman a laissé la Terre orpheline de son meilleur protecteur. Dans ce contexte favorable, Steppenwolf, touché dans son orgueil après avoir essuyé une lourde défaite il y a plusieurs milliers d’années, débarque pour récupérer trois pierres ultra puissantes, gardées par les Amazones, les Atlantes et les Hommes. Face à cette menace, Batman, aidé de Wonder Woman, décide de réunir des êtres surpuissants. Voilà pour le scénario, prétexte à un gros divertissement. Sauf qu’en raison de choix artistiques et narratifs plus que douteux, Justice League est un raté sur quasiment toute la ligne.
Ce qui cloche avec Justice League
Il convient bien évidemment de revenir sur la production chaotique ayant abouti à Justice League. Déjà réalisateur de Man of Steel et Batman v Superman : L’Aube de la Justice, Zack Snyder devait faire la passe de trois. Mais un drame familiale tragique l’a poussé à quitter le projet avant la fin. Warner Bros. a alors eu la drôle d’idée de le remplacer par Joss Whedon, à qui l’on doit les deux premiers Avengers. Les deux hommes n’ont pas du tout la même vision, ni la même patte, et cela se ressent dans le Justice League sorti dans les salles. Joss Whedon a d’ailleurs retourné plusieurs scènes, une étape qui avait occasionné quelques soucis d’agenda pour certains acteurs (la fameuse anecdote du Superman à la moustache). Une vraie trahison, qui permet aujourd’hui à la Snyder Cut de voir le jour, après une sorte de campagne de lobbying, appuyée par les acteurs.
Un film achevé dans la douleur
Quand on regarde Batman v Superman : L’Aube de la Justice et Justice League coup sur coup, on se rend compte à quel point Zack Snyder et Joss Whedon se distinguent sur l’approche. L’affrontement entre les deux super-héros stars de DC Comics s’inscrivait dans une dimension mythologique faisant d’eux des figures divines parmi les hommes. Justice League supprime totalement ce souffle épique, que certains qualifient de pompeux (c’est déjà la signature Snyder dans 300).
Joss Whedon opte pour un ton beaucoup plus léger et moins sombre, remplaçant les belles phrases messianiques par des blagues plus grand public. Le père de la série Buffy contre les vampires a, en quelque sorte, avengerisé Justice League sans avoir les ressorts pour le faire. En termes de continuité entre les deux films, on n’y est plus du tout. Superman, Batman et Wonder Woman redeviennent de simples justiciers chargés de remplir une mission périlleuse. Sous Snyder, ils sont des Dieux. Sous Whedon, ils sont les stars costumées d’un clip géant pensé pour vendre des jouets ou faire naître des mèmes (la séquence où Aquaman jette violemment une bouteille d’alcool dans la mer, avec un ralenti que ne renierait pas une publicité pour parfum). Plus dure est la chute.
Un scénario peu approfondi et un manque de temps
Artistiquement décapé au point de perdre son âme, Justice League n’est pas aidé non plus par son scénario entonnoir. Rendez-vous compte : en un peu moins de deux heures (oui, oui), on fait la connaissance de trois super-héros (Aquaman, Flash, Cyborg), on crée en deux temps trois mouvements une équipe de choc, on ressuscite Superman et on se débarrasse d’un méchant, vu comme l’égal de Thanos (Steppenwolf). Le récit n’est pas suffisamment approfondi pour éviter les raccourcis et les incohérences — sans doute a-t-il été beaucoup trop réécrit et rétréci pour garder ne serait-ce que l’illusion d’une continuité. Revenu d’entre les morts à la surprise générale (non), Superman tient d’abord à se venger de Batman ? Trois minutes plus tard, les revoilà devenus copains comme cochons. Un exemple, parmi tant d’autres, qui témoigne d’un film achevé dans la douleur et à la va-vite, aux ficelles tellement grosses qu’il en perd son argument divertissant.
Dans la précipitation et en désaccord avec certains choix osés de Zack Snyder, Warner Bros. a multiplié les mauvaises décisions. Pourquoi ne pas avoir pris le temps d’introduire d’abord Aquaman, Flash et Cyborg, chacun dans un film distinct ? L’échec de Justice League ne doit pas uniquement être attribué à Joss Whedon — ou Zack Snyder. C’est d’abord la faute de Warner Bros., qui a voulu aller trop vite face à un empire Disney/Marvel déjà bien trop établi. Et qui a voulu (re)faire pareil, opérant un virage à 180 degrés alors que les fondations devaient amener une toute autre proposition artistique. C’est d’autant plus triste que le studio est parvenu à un résultat beaucoup plus cohérent avec l’univers qu’il construit avec ses séries du Arrowverse.
Que reste-t-il de Justice League aujourd’hui ?
Même les acteurs de Justice League ne semblent jamais croire au projet. Convaincant en Bruce Wayne/Batman très énervé dans Batman v Superman: L’Aube de la Justice, Ben Affleck n’est plus que l’ombre de lui-même. Rayonnant grâce à son sourire charmeur dans Man of Steel, Henry Cavill ne campe plus qu’un Superman réduit à ses pouvoirs surhumains, symbolisé par un arc risible tant il est vite expédié. Parachutés dans un scénario qui n’a aucune place digne de ce nom à leur accorder, Flash (Ezra Miller), Cyborg (Ray Fisher) et Aquaman (Jason Momoa) font de la figuration. Seule Wonder Woman (Gal Gadot) parvient un peu à tirer son épingle du jeu, sachant que la super-héroïne était déjà dans Batman v Superman: L’Aube de la Justice et a eu son propre film entre temps.
On apprendra plus tard que Joss Whedon aurait eu un comportement inapproprié pendant le tournage, dénoncé par Ray Fisher dans un tweet publié en juillet 2020. Depuis, les langues se sont déliées concernant le cinéaste, qui n’aurait pas bien agi non plus à l’époque de Buffy contre les vampires. Dès lors, on comprend mieux pourquoi le casting témoigne d’une implication proche du néant.
Que reste-t-il de Justice League aujourd’hui ? Cette idée d’un immense gâchis, d’autant que certaines séquences — sans doute celles conservées des premiers montages de Zack Snyder — sont ébouriffantes, aussi bien dans la puissance visuelle que dans cette représentation de l’action impliquant des forces irréelles (la chorégraphie des combats…).
Ces rares minutes de plaisir permettent de croire en la Snyder Cut, qui a bénéficié d’une rallonge pour rendre à César ce qui appartient à César. Cette nouvelle version d’une durée de quatre heures ne ressuscitera certainement pas l’univers cinématographique de DC Comics, lequel s’articulera désormais autour de films plus éparpillés et indépendants (exemple : le film centré sur le Joker). Mais peut-être deviendra-t-il la plus belle relique d’un projet ambitieux transformé en catastrophe industrielle.
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