Dans un excellent recueil de nouvelles publié en mars 2021 aux éditions L’Homme Sans Nom, l’écrivain français Emmanuel Chastellière installe une cité slave sur la Lune, sous un dôme de verre, dans les années 1920. Célestopol 1922 relève d’une uchronie. Celle-ci est agrémentée d’accents steampunk, toutefois peu prononcés, ce qui évite la surdose du « typique » tout en jouant pourtant bien un rôle dans le charme général de l’ouvrage. S’ajoutent des touches de magie.
Il faut s’arrêter un bref instant sur le travail d’édition : Célestopol 1922 est un très beau livre-objet. La couverture signée Marc Simonetti, sublime, nous plonge dans la cité lunaire en un regard à chaque fois que l’on rouvre le recueil. Derrière la quatrième, elle s’accompagne d’une carte de Célestopol, qui nous aide à nous repérer (ce n’est pas toujours le cas avec ce type de suppléments) et contribue à faire de nous des sortes d’historiens-explorateurs parés à découvrir les mystères du passé.
Destins croisés
Nous voilà donc sur la Lune, en 1922. Mais là où certaines uchronies peuvent faire le pari de réécrire la grande Histoire pour en explorer toutes les conséquences, Emmanuel Chastellière génère une grande Histoire alternative pour se pencher presque exclusivement sur les histoires à taille humaine. L’approche de Célestopol 1922 s’incarne alors en un terme : destins.
D’un patineur artistique faisant face à l’homophobie, à la lutte ouvrière et la lutte féministe, en passant par le drame familial et le traumatisme de guerre, Emmanuel Chastellière nous conte des parcours de vie, dans l’intimité familiale et sociale de cette cité lunaire. Les destins croisés sont cultivés par l’auteur dans la mélancolie, car la tragédie, si ce n’est la fatalité, imprègne une grande partie des histoires de Célestopol 1922. « Si seulement les choses étaient différentes », pourrait-on soupirer après chaque nouvelle, par tendresse envers les personnages.
Des personnages pour lesquels, d’ailleurs, l’auteur semble porter un véritable amour. Sans doute est-ce la raison pour laquelle les histoires qu’il nous raconte semblent avoir autant de valeur à la lecture : les émotions viennent avec une profonde vérité. Le pire et le meilleur de nous — en bref nos contradictions — viennent par ailleurs se cristalliser à travers les relations qu’entretiennent les habitants de la cité avec les automates. Quelques touches de magie (ou d’alchimie) apportent, de leur côté, les éléments allégoriques qui caractérisent la littérature de l’imaginaire.
Rêve de Jules Verne ou anti-utopie ?
Dans Célestopol 1922, la grande Histoire a dévié de la nôtre, et cette cité s’est arrachée à nos vies terrestres, mais Emmanuel Chastellière montre que nos formes d’humanités sont les mêmes. La ville de Célestopol n’est pas une utopie, ni une dystopie, plutôt une forme d’anti-utopie : chaque destin raconté relève d’une aspiration au mieux-vivre, au mieux-être, mais se confronte à une réalité qui ne varie pas réellement que l’on soit sur Terre ou dans l’espace. L’aspect mélancolique le plus fort de l’ouvrage vient de là : pourquoi donc, alors même que nous sommes sur une cité lunaire — terre promise de la conquête spatiale, rêve à la Jules Verne rempli de merveilles scientifiques — les espérances semblent si rarement comblées ? Un paradoxe que chacun et chacune décryptera peut-être différemment à la lecture.
Emmanuel Chastellière livre donc un très bon recueil de nouvelles, particulièrement humain, et maitrisé dans son approche. L’homogénéité ne fait presque pas défaut, à ceci près qu’il est peut-être plus difficile de se sentir investi dans la première nouvelle, très introductive, mais, dès la seconde, le voyage lunaire vers ces destins croisés fonctionne.
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