« La ville dormait et ses rêves flottaient dans la tête de ses habitants, déformant et modifiant leurs pensées. » Art, pacifisme et espoir sont les maitres mots de La ville peu de temps après, un roman tout à la fois post-apocalyptique et utopique, dont se dégage constamment une enveloppante poésie. Initialement publié aux États-Unis dans les années 1990, il est finalement sorti en avril 2021 chez Les Moutons électriques, dans une traduction de Patrick Marcel.
Quand l’apocalypse laisse place à l’utopie
La ville de San Francisco n’a pas échappé à l’apocalypse. Après une pandémie, le monde s’est effondré. Il y a eu la fin du monde, certes. Mais passons. Pour Pat Murphy, l’apocalypse n’est pas l’important. Elle embrasse plutôt le terreau fertile du contexte post-apocalyptique, puisant avec intelligence dans ce qu’offre cette expérience littéraire. Car dans ce monde d’après, certains humains ont fait preuve d’une infinie résilience. Ils n’ont pas seulement survécu à l’apocalypse, ils ont dépassé la survie pour redonner du sens à leur vie et à la société… grâce aux arts.
Un groupe de rêveurs et de rêveuses s’est employé à bâtir un nouveau monde : une ville dans la ville, entièrement basée sur tous les arts, visuels ou musicaux ou littéraires. C’est une utopie forgée par des artistes, mue par un idéal de paix ; et une utopie qui est une réussite, une anarchie qui n’a rien de chaotique.
Pat Murphy nous dresse progressivement le portrait des habitants et des habitantes de cette communauté — on rencontre un grapheur, un tatoueur, une romancière/historienne et journaliste, ainsi de suite. Chacun et chacune excelle dans un art, tout en étant valorisé pour cela. Avec leurs œuvres, ces artistes insufflent des couleurs, de la joie et de la vie partout dans la ville, au propre comme au figuré.
Cet équilibre se trouve toutefois menacé. Car à quelques kilomètres de là, le général Miles rassemble ses troupes. Sa colonie n’a rien à voir avec la cité des artistes de San Francisco. Un ordre hiérarchique, brutal et militariste y règne. Déviez de l’idéologie patriotique mise en place par le général, vous finirez en prison, alors attention aux livres que vous possédez. Ce général souhaite reconquérir l’Amérique, avec pour objectif de rétablir sa vision d’une gloire américaine passée.
S’affrontent alors deux visions différentes. Sur le papier, on pourrait croire qu’il s’agit du pacifisme contre le militarisme. Ce n’est pas totalement faux : La ville peu de temps après est profondément antimilitariste. Mais l’approche de Pat Murphy est bien moins manichéenne. Ce qui s’affronte en réalité : une vision immuable du monde, vivant dans le passé et ne laissant pas de place aux autres voies ; et une vision ouverte aux changements, prête à accueillir la nouveauté et à innover.
À partir de cette tension narrative, La ville peu de temps après représente alors, finalement, une ode à la créativité, à la puissance innovante et créatrice de nos imaginaires.
Le roman de Pat Murphy rejoint par ailleurs les quelques œuvres post-apocalyptiques qui utilisent un « monde d’après » pour faire la part belle à l’art comme vecteur essentiel de notre humanité, à l’image d’Estelle Faye (Un éclat de givre) et Emily StJohn Mandel (Station Eleven).
Un conte poétique
Le ton de Pat Murphy est en parfaite adéquation avec la thématique artistique du roman : La ville peu de temps après est raconté avec douceur, bienveillance. Plus encore, il s’agit d’une forme de conte, écrit comme de la poésie contemplative, et il pourrait aisément être récité à l’oral tout en gardant toute son énergie.
Comme Ecotopia qui a récemment été réédité, le roman de Pat Murphy livre le type de récit dont nous avons plus que jamais besoin : l’utopie positive, celle qui nous montre, avec un espoir quasi rebelle, que d’autres mondes sont possibles — pas forcément parfaits, mais peut-être meilleurs, rien qu’un peu. Alors s’il s’agit d’un conte poétique, La ville peu de temps après relève aussi d’une proposition politique — mais sans gros sabots, comme la belle littérature sait le faire.
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