Le 30 juin, plusieurs joueurs de World of Warcraft ont remarqué qu’ils ne pouvaient plus… cracher sur les autres joueurs. Car oui, depuis sa sortie en 2004, le célèbre MMO donne accès à toute une liste d’emotes — dont la possibilité de cracher — qui peuvent être activées par des commandes écrites. Tapez /dance, et votre orc commencera à se dandiner comme MC Hammer dans le clip de U Can’t Touch This. Écrivez /salut et il fera un signe de la main au joueur visé. Entrez /crache (ou /spit en anglais), et il lui crachera dessus.
Le changement n’est, pour l’instant du moins, que partiel : il affecte uniquement les serveurs de tests de la prochaine mise à jour deThe Burning Legion Classic. Ces serveurs particuliers servent à faire remonter des bugs et évaluer les changements avant le déploiement sur les serveurs officiels du jeu. Les personnages de ces royaumes peuvent toujours cracher… mais seulement sur le sol.
La modification discrète n’a pas fait l’objet d’un message officiel de Blizzard, qui habituellement officialise tous les changements, même les plus petits, par un « message bleu » (la police de couleur des employés de l’entreprise) publié sur ses forums. En réalité, la modification pourrait être une simple erreur de manipulation ou un changement temporaire. Contacté par Numerama la modification de l’emote /spit, Blizzard n’a pour l’instant pas commenté le sujet. Le /crache n’a pour l’heure disparu d’aucune version à jour de World of Warcraft, et pourrait ne jamais en disparaître. Mais c’est trop tard, la polémique a déjà eu lieu.
Un streamer fait gonfler la polémique
Bien que triviale en apparence, l’histoire du /spit a fait du grabuge sur les forums officiels, avant d’être amplifiée par Asmongold, le plus suivi des streamers anglophones du jeu. Aux yeux du vidéaste — en conflit avec Blizzard — la modification sert à protéger les joueurs qui utilisent la monture de l’édition Deluxe de Burning Crusade Classic : une sorte de grand lézard appelé « Chasseur phasique réveillé ». Certains joueurs, mécontents de croiser en jeu une monture qui n’était pas dans le jeu d’origine, signalent leur désaccord en crachant sur les personnages qui la montent.
« Dès qu’ils ont ajouté une monture de la boutique et un boost de niveau sur Burning Crusade [il est possible de payer pour avoir un perso niveau 58, alors qu’il suffit d’être abonné pour jouer, ndlr] le jeu était mort à mes yeux. Ce n’est pas le jeu auquel j’ai joué quand j’étais enfant, c’est juste une connerie avec laquelle ils essaient de faire de l’argent », juge Asmongold. Il continue sa critique : « Chaque joueur individuel qui achète cette monture dit activement ‘je n’en ai rien à faire de l’expérience authentique de Classic’. En utilisant la monture, ils travaillent activement contre l’intérêt des autres joueurs du serveur qui sont là pour avoir une expérience authentique. » Dès lors, le streamer encourage sa communauté à utiliser l’emote cracher, qui respecte après tout les conditions d’utilisations du jeu.
Derrière cette pratique presque puérile se cache une réelle opposition de fond d’une partie de la communauté contre Blizzard. Elle vise le modèle économique du jeu, et plus particulièrement la présence de plus en plus grande des microtransactions et de la boutique.
Le « jeton WoW », ennemi numéro 1 d’une partie des joueurs
Au centre du débat depuis maintenant 6 ans se trouve le « jeton WoW ». Payé 20 euros par l’acheteur, il est ensuite mis à la vente contre de l’argent virtuel (les pièces d’or) dans un onglet dédié en jeu, à un prix fluctuant en fonction de l’offre et de la demande.
- Le joueur ou la joueuse A peut acheter le jeton sur la boutique Blizzard pour 20 euros. Il le mettra en vente, et récupèrera un large montant de pièces d’or en échange. Avec ces pièces d’or, il pourra acheter de l’équipement, des consommables ou encore des montures en jeu.
- Le joueur ou la joueuse B va acheter le jeton contre des pièces d’or, et pourra l’échanger à Blizzard contre 13 euros à dépenser sur son compte Battle Net. La personne pourra dépenser cette somme sur la boutique, par exemple pour s’offrir un mois d’abonnement, changer le nom de son personnage ou encore acheter des cosmétiques et autres montures exclusives à la boutique.
Récemment encore, un Youtubeur connu, MadSeasonShow, citait abondamment ce modèle économique parmi les raisons l’ayant poussé à arrêter de jouer : « Dans le Word of Warcraft actuel, investir du temps n’est pas la façon la plus rapide de faire progresser son personnage, l’argent l’est depuis l’introduction du jeton WoW (…) C’est un gros problème : pouvoir dire ‘j’ai obtenu cette chose qui peut être uniquement obtenu par un investissement de temps’ est très important dans les jeux avec une progression de personnage comme les RPG », développe-t-il.
Le vidéaste expose que s’il est interdit de payer des services en jeu — comme finir un raid ou faire progresser son classement en arène — avec de l’argent réel, le jeton offre la possibilité de le faire indirectement. Les joueurs ont parfaitement le droit de proposer leur aide pour atteindre certains objectifs en jeu contre des pièces d’or, une pratique connue sous le nom « boosting ». Et peu importe si ces pièces d’or ont été achetées avec de l’argent réel via le jeton. Résultat : les offres pullulent, et il n’est pas rare, par exemple, d’affronter des joueurs bien trop forts en arène, car ils « boostent » un client.
Le refuge WoW Classic mis en danger
Rappelons que plusieurs versions de World of Warcraft coexistent : d’un côté se trouve Shadowlands, la version la plus récente du jeu, aussi surnommée « retail ». De l’autre côté, se trouvent les jeux dits Classic, copies des anciennes versions du jeu. La saga a recommencé avec le jeu d’origine en août 2019, puis, début juin 2021, Blizzard a sorti une réédition de la première extension du jeu,The Burning Crusade. C’est sur cette version du jeu qu’a eu lieu l’affaire du crachat, et c’est un détail d’importance dans l’histoire.
La promesse de Blizzard était simple : offrir aux joueurs nostalgiques le même jeu World of Warcraft que lors de sa sortie au milieu des années 2000. À l’exception de bugs techniques, les développeurs ont reproduit Burning Crusade avec tous ses défauts et ses qualités.
Les joueurs de Classic ne veulent pas du jeton
Avec le contrat de Classic, les vieux joueurs avaient en théorie la garantie d’être débarrassés pendant longtemps du « Jeton WoW », apparu en 2015. Pour monter un personnage au niveau maximal, il faut donc passer des dizaines d’heures à jouer, et encore bien d’autres pour faire le contenu du jeu, particulièrement chronophage.
La version Deluxe du jeu, avec la monture lézard, a légèrement fait vaciller cet équilibre, avec son boost de niveau et une monture inexistante à l’époque. Et elle laisse craindre l’arrivée d’un jeton ou d’autres microtransactions sur les versions Classic du jeu. Au final, l’histoire du crachat n’est autre qu’une opposition des anciens joueurs qui rejettent le système de microtransactions contre ceux qui apprécient de payer en euros pour s’offrir du contenu supplémentaire.
Si l’emote cracher venait à être bannie, nul doute qu’une autre serait utilisée par la communauté. WoW compte des dizaines d’emote différentes et offre même la possibilité de créer des versions personnalisées, ou encore de lancer certains objets sur les joueurs. « Les gens vont trouver d’autres moyens d’exprimer leur insatisfaction contre les joueurs qui participent au système de Blizzard », résume Belluar, autre pilier de la communauté.
Un petit problème parmi les gros
L’affaire du crachat est évidemment bien moins grave que les autres qui se déroulent actuellement au sein d’Activision Blizzard, visé par une plainte concernant des faits de harcèlement et d’agressions sexuelles. De nombreux salariées et salariés ont d’ailleurs dénoncé la manière dont l’entreprise a réagi à ces accusations dans un premier temps. Depuis, le groupe a changé le ton de ses prises de parole et le président de la société a démissionné.
En plus de ces affaires graves, Blizzard se trouve aussi dans une position commerciale délicate. Les concurrents de WoW n’ont jamais été aussi près de dépasser son nombre d’abonnés, et les retards répétés dans la publication des mises à jour du jeu jouent en sa défaveur.
Autant dire que l’histoire du crachat est qu’une goutte de plus dans une période particulièrement sombre pour l’éditeur.
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