« Moi je rêve surtout d’arbres. Des arbres que j’ai connus. D’autres que je ne connais pas encore. Parfois ils me viennent en aide, parfois ils me tombent dessus. Parfois je les plante, parfois je les coupe. Mais toujours ils sont là. Je crois que si on m’ouvrait la tête, on trouverait un gros ballot de racines toutes emmêlées. »
En cette rentrée littéraire 2021, du côté des romans étrangers, la collection Terres d’Amérique chez Albin Michel nous livre Lorsque le dernier arbre, roman virtuose signé du canadien Michael Christie, traduit en français par Sarah Gurcel. L’auteur dresse une immense fresque familiale s’étendant sur plus d’un siècle et quatre générations, de 1908 à 2038. Le nom qui relie ces femmes et ces hommes : Greenwood, qui signifie « bois vert ». Ce qui les relie vraiment n’est pas seulement leur sang, ou leur nom, mais aussi une relation profonde aux arbres.
Le roman démarre dans un futur proche, dans les années 2030, alors que l’humanité est à un stade écologique et social au bord de l’effondrement. En cause : le Grand Dépérissement, une épidémie décimant les forêts primaires comme l’intégralité des arbres de la planète. Chaque tronc encore en vie est si rare, si précieux, qu’une île où de nombreux arbres sont préservés est transformée en « Cathédrale arboricole ».
Dans cette cathédrale, on retrouve Jake Greenwood, qui y fait office de guide. Une rencontre, toutefois, la tourne vers son passé. Et c’est ainsi que l’auteur démarre une remontée dans le temps, nous ramenant en 2008, en 1974, en 1934, en 1908, avant de réavancer vers le futur, une nouvelle fois.
« Ils repousseront », dit Harris en jetant l’allumette
Dans les moindres interstices de la vie des personnages, les forêts ne sont jamais bien loin. La relation intime que la famille Greenwood partage avec les arbres est palpable. Michael Christie enveloppe ses lecteurs et lectrices sous une canopée. On perçoit, à chaque instant de la lecture, des effluves boisés — l’odeur traditionnelle des pages d’un livre neuf s’en trouverait presque exacerbée.
Lorsque le dernier arbre est un roman écologiste aussi car il est le récit d’une urgence. Comme le titre français de l’ouvrage le retranscrit bien, le voyage que nous conte Michael Christie résonne comme un décompte accéléré. La quasi intégralité du roman se situe à des époques passées, s’ancrant dans une réalité bien réelle de 1934 à 2008. Mais l’auteur y ajoute cette issue, dramatique, des années 2030. Ce faisant, chaque élément des périodes passées a un écho différent. Une phrase comme « ‘Ils repousseront’, dit Harris en jetant l’allumette » fait l’effet d’un uppercut, quand l’on sait que, dans le futur décrit par Michael Christie, non, ils ne repousseront pas.
C’est ce détachement, cette nonchalance d’autrefois, qui ressort souvent dans le verbe de l’auteur. « On était alors dans cette période naïvement touchante d’avant le dépérissement où les gens croyaient encore qu’un engagement modéré et de bonnes intentions éviteraient la catastrophe », décrit l’auteur… dans un chapitre se situant à l’année 2008. « Les hommes comme Rockefeller n’ont jamais considéré son pays — la plus grande réserve de matières premières au monde, d’abord volée aux nations indigènes, puis vendue morceau par morceau à des investisseurs étrangers — que comme un étalage où se servir », écrit-il lors d’une scène située dans les années 1934.
L’arbre de nos vies
Au-delà d’un roman de nature writing et d’un roman politique de l’urgence environnementale, l’œuvre de Michael Christie trouve aussi sa portée écologique dans la saga familiale qu’elle raconte, métaphore sublime de l’arbre de nos vies. Car l’auteur livre une narration d’un grand raffinement, s’enfonçant dans les moindres recoins du passé, de la personnalité et des motivations de ses personnages ; révélant des connexions cachées et profondes entre des événements et des humains pourtant éloignés dans l’espace et le temps. Il en résulte un roman long — aux pages remplies de détails — mais d’un réalisme humain remarquable.
Ce raffinement n’est pas sans lien avec le thème du roman, car Michael Christie parle des racines qui nous relient en formant un « tronc » solide, de tous les instants et de toutes les personnes qui laissent des marques dans nos vies, comme les stries et les cernes sur ce tronc. La structure littéraire du roman répond à cela : en partant du futur pour aller vers le passé, avant de revenir vers le futur, la narration est semblable à un battement partant du « bois de cœur », au centre d’un tronc, pour aller jusqu’à l’« aubier », le bois périphérique.
Pour protéger l’environnement, il faut aussi le comprendre, le percevoir tel qu’il existe véritablement autour de nous ; il faut sortir de cette différenciation construite — scientifiquement absurde d’ailleurs — entre les humains d’un côté, le vivant de l’autre. C’est la démarche de Michael Christie, par la littérature.
« Lorsque le dernier arbre », Michael Christie, 608 p., Albin Michel. Traduit par Sarah Gurcel. Paru le 19 août 2021. 22,90 euros.
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