Une nouvelle d’Isaac Asimov dénonçait très tôt les dérives d’une démocratie sondagière où les sondages sont omniprésents en période électorale. Peut-être serait-il bon, alors qu’une période électorale tendue approche, de la relire.

La prochaine élection présidentielle française est pour 2022. Pourtant, des sondages sortent déjà, allant jusqu’à simuler à l’avance le second tour en y incluant un candidat d’extrême droite, lequel ne s’est pourtant même pas encore présenté officiellement. Cette « démocratie sondagière » est un principe profondément ancré dans l’histoire de nos démocraties occidentales. À chaque élection, les sondages viennent créer l’actualité et les débats. Mais se pose aussi régulièrement la question de leur influence indirecte.

Il y a 70 ans déjà, un écrivain de science-fiction tournait en dérision cette obsession pour les sondages. En 1955, l’américain Isaac Asimov publiait la nouvelle « A voté ».

« A voté » : quand le sondage fait directement l’élection

En matière d’intelligences artificielles prédictives dans la science-fiction, on pense en général à Minority Report de Philip K. Dick (adapté dans le fameux film avec Tom Cruise). Mais le célèbre écrivain Isaac Asimov, auteur des cycles des Robots et de Fondation, avait lui aussi envisagé un ordinateur ayant des capacités similaires : Multivac. Cet ordinateur, qui est une intelligence artificielle avant l’heure, intervient dans plusieurs récits de l’auteur, dont cette nouvelle A voté éditée en français en 2016 aux éditions Le Passager Clandestin dans un petit livre de 56 pages.

A voté // Source : Le Passager Clandestin

A voté

Source : Le Passager Clandestin

Dans cette nouvelle, l’intégralité de la politique est pilotée par cette machine. « Multivac possède déjà la plupart des renseignements dont elle a besoin pour régler les élections, tant nationales que communales », explique ainsi un personnage. Multivac sonde littéralement la société pour y cerner les grandes tendances, les opinions majoritaires. Puis l’ordinateur désigne une personne — une seule — qui est convoquée auprès de l’ordinateur, car la machine a juste besoin, pour terminer son sondage, de « contrôler certaines attitudes d’esprit impondérables ».

Multivac va poser à cette personne, sorte d’unique électeur, toute une série de questions — de la gestion des ordures ménagères au système de soin. « D’après la façon dont fonctionnent votre cerveau, votre cœur, vos hormones et vos glandes sudoripares, Multivac pourra évaluer avec précision l’intensité de vos sentiments sur la question. Il comprendra ces sentiments mieux que vous ne les comprenez vous-même. »

Après avoir sondé les opinions majoritaires dans la société puis cet unique électeur considéré comme le plus représentatif, Multivac désigne le Président de la République. Le sondage fait donc directement l’élection.

Isaac Asimov extrapole considérablement la logique de la démocratie sondagière, révélant ainsi l’absurdité sous-jacente qui peut nous apparaître dans cette approche des élections. Écrite en 1955, la nouvelle s’appliquait d’ores et déjà à la politique américaine de l’époque, mais demeure aujourd’hui pertinente pour la plupart des démocraties occidentales. Cette extrapolation offre une relativisation nécessaire de la mécanique sondagière. Faut-il en abuser au point que des simulations ne viennent empoisonner l’intégralité du débat public ? Les sondages ne risquent-ils pas, en eux-mêmes, d’orienter les résultats ? La science-fiction, sans répondre à ces questionnements, permet en tout cas de prendre un peu de recul, et de se poser des questions éminemment nécessaires.

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