Depuis mars 2020, il est assez simple de repérer celles et ceux qui ont regardé la première saison de Stalk : un petit morceau de papier est scotché sur la caméra de leur ordinateur, ils ont un mot de passe différent pour chaque site internet et se méfient comme de la peste du moindre mail un peu trop beau pour être vrai. Ils se mettent aussi à employer à tout va des mots nouveaux comme « skill », « black hat » ou « malware », tels des petits Zuckerberg en puissance. Il faut dire que la série de Simon Bouisson, par son réalisme, sa pédagogie et son sens aigu de la narration, est un vrai cours accéléré en matière de cybersécurité. Une manière de nous mettre le nez dans notre manque d’hygiène numérique dont on ressort mi-fasciné, mi-terrifié.
A la fin des dix premiers épisodes, nous avions laissé un Lucas, dit Lux, vainqueur, mais éreinté, le coeur brisé, en pleine promesse de ne plus jamais stalker. Le petit jeu revanchard, qui a sérieusement mal tourné, avait servi de leçon. On le retrouve un an plus tard, bien intégré dans la vie de son école, l’ENSI, vivant en coloc’, à la tête du BDE. Les petites manigances, informatiques ou non, vont toujours bon train, surtout depuis l’arrivée d’une nouvelle étudiante, Charlie, équivalent féminin du prodige Lux. Mais ce bel équilibre précaire vacille quand débarque le White Duke, un hacktiviste ultra-doué qui plonge le campus dans l’émoi et semble viser particulièrement Lucas.
Le stalker devient stalké
Dans la première saison, notre héros développait un complexe de Dieu en raison de ses talents informatiques indéniables. Mais comme le dit l’adage spidermanesque, un grand pouvoir implique de grandes responsabilités, et Lucas avait préféré, notamment par amour, ranger son costume divin pour rejoindre les mortels. Mais comment résister à l’ivresse du pouvoir, celui d’être un Argos omnipotent? C’est bien là l’enjeu de cette deuxième saison où cette fois, comme une excuse, il est question pour Lux de se défendre d’un rival aussi talentueux, voire plus, que lui, sur ce même terrain. Comment tenir une promesse, faite à celle qu’il aime, quand l’addiction à ce privilège s’avère plus forte que tout et se retrouve soudain justifiée? Stalk devient alors le Requiem for a dream du hacking. On s’y tape des lignes de code et on sniffe des IP, on ment et on manipule pour mieux obtenir ce que l’on souhaite, blessant au passage un entourage de moins en moins compréhensif.
Véritable tour de force, cette saison 2 s’imagine comme un thriller inquiétant où ce « skill » du hacking se répand comme une trainée de poudre, bien au-delà du campus de l’ENSI lui-même. Comme si la saison 1, passée en version bêta, était rejouée à grande échelle, sans garde-fou. Tout le monde devient accro et la promesse, utopique, mais naïve, d’un monde plus juste où l’on pourrait dénoncer les harceleurs et les mauvais comportements, se retrouve vite dévoyée.
Stalk explore les conséquences de la rencontre entre ultra-transparence et bas instincts humains et met en scène les limites de ce pouvoir, rappelant astucieusement la notion de contexte. L’enfer numérique est pavé de bonnes intentions et cette saison 2 transpose le labyrinthe éthique et le parcours de victime à bourreau, traversé par Lux l’année d’avant, jusque dans nos téléphones portables et nous interroge sur ce que l’on ferait si l’on possédait une mini-NSA entre nos mains.
Human after all
Et la solution reste la même : l’humain. À trop regarder les écrans froids et pixélisés de leurs portables, où chaque personne n’est qu’une ligne de code de plus, les personnages de Stalk en oublient parfois qu’ils ont affaire à de vrais êtres, au passé complexe, à la souffrance bien réelle. Les séquelles IRL des trahisons, revenge porn et autre cyberharcèlement traversent les épisodes comme autant de garde-fou d’un tout numérique déshumanisé. Lux, Charlie et les autres, pris dans un tourbillon technologique fincherien, apprennent à faire tomber le filtre pour mieux regarder en face celui ou celle qu’ils veulent atteindre. Cette 2e saison encourage un stalking bien différent qui consisterait à communiquer, à échanger et s’intéresser, au vu et su de l’autre. Et, au passage, fait évoluer son esprit teen-movie des débuts vers un triangle amoureux complexe où les premiers émois font place à des histoires de coeur bouleversées par le poids des bagages que l’on transporte avec soi. L’amour et ses conséquences au temps du 2.0. et des influenceurs.
Pour maintenir ses enjeux toujours plus haut, sans tomber la science-fiction, la série de Simon Bouisson se repose sur son travail de l’image, à la fois crue et réaliste. Elle poursuit sa mise en scène intelligente qui passe par un jeu entre ce que l’on entraperçoit et ce que l’on peut voir. Chaque scène, hors celles avec Lux dont on suit le point de vue, ne peut être accessible que si elle est stalkée par ce dernier, nous mettant à notre tour dans cette position de voyeur amélioré. Stalk peut aussi compter sur son casting parfait, de l’impassible Théo Fernandez à la mélancolique Carmen Kassovitz en passant par la nouvelle venue, Aloïse Sauvage, en mystérieuse Charlie, une hackeuse au bord du gouffre.
Et même si, désormais, on se méfie de son portable, on ira quand vérifier si une notification ne tombe pas pour annoncer une bonne nouvelle, celle d’une saison 3.
La saison 2 de Stalk, dont Numerama est partenaire, est sur France TV Slash
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