La première fois que j’ai entendu parler d’Arcane, c’était par un mail. Un mail envoyé par un ami début novembre, en pleine nuit — oui, il était alors pratiquement minuit — dans lequel il laissait éclater son enthousiasme. « Je ne sais pas si tu l’as déjà vue, mais si ce n’est pas le cas : va vite voir la série animée Arcane sur Netflix ! » me lançait-il. C’est comme ça que j’ai plongé. Et je ne regrette pas.
À dire vrai, je n’ai pas basculé immédiatement. Il a fallu que cet ami s’y reprenne à trois reprises (littéralement !) pour que je me rende enfin sur le site de vidéo à la demande par abonnement (SVOD) ; son utilisation déraisonnable de majuscules dans son dernier message m’avait interpellé suffisamment pour m’extraire de ma procrastination et me pousse à appuyer sur le bouton lecture.
Son insistance s’est avérée tout à fait compréhensible : le contact avec cette série inspirée de League of Legends (LoL) a été foudroyant. Je suis instantanément tombé sous le charme de l’univers qui y est dépeint. C’est d’autant plus remarquable que je ne connais rien de LoL hormis de vagues généralités. Je n’ai jamais joué au jeu et, à dire vrai, je n’ai absolument aucune envie de m’y mettre.
Pour qui ne connaîtrait pas League of Legends, c’est un jeu vidéo dans lequel deux équipes de cinq joueurs tentent de détruire la base adverse tout en défendant la leur (c’est ce qu’on appelle une arène de bataille, comme Dota 2, Pokémon Unite ou Heroes of the Storm). Tout le monde contrôle un personnage doté de capacités propres et tente de se coordonner pour surclasser l’ennemi. Le tout, dans une vue au-dessus.
Vous ne connaissez rien à League of Legends ? Ce n’est pas grave pour profiter d’Arcane
Mais tout ceci n’a en fait aucune importance pour profiter d’Arcane. Bien sûr, celles et ceux qui sont intimes de la franchise pourront profiter certainement d’un niveau de lecture que les profanes comme moi n’atteindront jamais. Mais c’est justement une excellente chose pour s’adresser au plus grand nombre : l’histoire se tient sans avoir besoin d’un quelconque bagage préalable.
Dans Arcane, on suit principalement la trajectoire de plus en plus divergente de deux jeunes filles, deux sœurs, venant des bas-fonds de Piltover, une cité florissante qui est toute entière tournée vers le progrès et l’innovation. En bas, les miséreux, comme Vi et Powder, la grande et la petite sœur ; en haut, la bourgeoisie et les nantis, qui n’ont que dédain pour ceux vivant sous leurs pieds.
Cette opposition entre la ville haute et la ville basse est un motif récurrent dans les œuvres de science-fiction. On la retrouve par exemple dans le Metropolis de Fritz Lang, film de 1927, ou, plus récemment, dans Gunnm, manga de Yukito Kishiro, où l’on voit Zalem, une ville suspendue, surplomber Kuzutetsu, qui n’est autre qu’une décharge pour les habitants d’en haut. La chute de détritus vient le rappeler au fil des pages.
Mais parce que cette opposition entre ville haute et ville basse peut rapidement donner lieu à une lecture manichéenne des choses, où ceux d’en bas seraient toujours gentils et ceux de la surface toujours méchants, Arcane échappe à cette facilité en alternant les points de vue. On suit par exemple Vi, Powder ou Ekko pour ceux d’en bas, ou bien Jayce, Caitlyn ou Mel, en ce qui concerne le haut de la pyramide.
Des interactions plus complexes
Ces deux univers paraissent très hermétiques au départ. Les habitants observent même le « monde d’en face » avec méfiance. On évite de se mélanger — personne ne semble le vouloir, d’ailleurs, à cause d’une histoire commune ensanglantée. Les « pacifieurs » (la police locale) ne le permettent pas, de toute façon. C’est pour cela que Vi et Powder font le mur et commettent des petits larcins. L’un d’eux sera l’élément déclencheur du récit.
Mais au fil des épisodes, le récit s’approfondit. Ce qui paraissait cloisonné ne l’est peut-être pas tant que ça. Il existe en coulisses des interactions plus complexes entre ces deux mondes. Des accords secrets ont été noués. Une certaine paix sociale a été achetée. Toute ressemblance avec des faits réels n’est peut-être pas si fortuite que cela. La série résonne parfois d’un certain tintement politique.
L’alternance des points de vue n’aurait toutefois pas grand intérêt sans des personnages bien écrits — même si parfois certains d’entre eux peuvent parfois être unidimensionnels et n’être là que pour remplir une fonction nécessaire à l’avancement de l’histoire. Le casting principal, en tout cas, est particulièrement réussi. Tous les personnages qui ont assez de temps d’écran sont fascinants à suivre.
Nul doute que les interactions de toute cette galerie de héros sont certainement plus savoureuses à suivre si l’on connaît déjà LoL. Les fans décèleront certainement des subtilités ou des clins d’œil qui passeront sous nos radars. Qu’importe. La qualité du scénario et l’écriture des personnages compensent largement cette méconnaissance. LoL pourrait ne jamais avoir existé que ça n’aurait aucune incidence sur Arcane.
La série reprend aussi un motif courant dans les œuvres, qui est celui motif de l’absence du père ou de la mère. Plusieurs pères de substitution apparaissent durant le récit pour les héros ; parfois, ce sont des mentors. Vi et Powder sont un exemple. Mel, dont la mère apparaît sans crier gare dans le récit, aussi. Jayce pensait avoir trouvé une figure dans Heimerdinger, le génial inventeur, pour le guider.
Ce que l’on peut dire, c’est que les deux protagonistes au centre des évènements sont tout simplement sublimes et crèvent l’écran. Deux personnages féminins très forts, attachants, mais vis-à-vis desquels le récit n’est pas tendre. On constate vite à quel point Vi et Powder sont broyées par des forces qui les dépassent et que l’inarrêtable cours des évènements les oblige à grandir vite, à la dure. Et cela va les détruire.
Arcane n’est pas tendre avec les faibles. Et celles et ceux qui survivent dans cet univers sont cassés. Les familles éclatent, les amitiés se brisent, les amours s’évaporent — pour qui a fini la série, une scène en particulier illustre terriblement cette remarque. Le tragique frappe à la porte. Mais impossible d’entrer beaucoup plus en avant dans le scénario sans risquer de divulgâcher quoi que ce soit.
Arcane est une véritable démonstration du talent de Fortiche Production
Il reste à parler de l’animation. Car il s’agit avant tout d’une série d’animation. Et on tenait à garder le meilleur pour la fin.
Dans un univers qui emprunte largement aux codes du steampunk et qui rappelle l’époque victorienne de l’Angleterre, le travail accompli sur neuf épisodes par le studio français Fortiche Production est absolument remarquable, dont l’impact équivaut, en termes de magnitude, à l’impression laissée par le film d’animation Spider-Man: Into the Spider-Verse concocté par Sony.
Visuellement, Arcane est une gifle magistrale. Le plus hallucinant étant que le studio a bouclé ce projet sans faire appel à de la motion capture (procédé qui consiste à enfiler des combinaisons spéciales pour enregistrer les mouvements des acteurs et des actrices sur ordinateur pour rajouter ensuite par-dessus la texture des personnages animés) ou à de la performance capture (même chose, mais pour le visage).
Ce choix est aussi un parti-pris nécessaire pour retranscrire certaines expressions parfois difformes à l’écran. Les rictus de quelques personnages sont parfois à ce point inhumains que la performance capture aurait été, pour le coup, un frein. Cela aurait aussi été limitant en termes de liberté créative, dans la construction de plans psychédéliques, pour montrer la dérive mentale de tel ou tel héros.
L’animation est jolie, mais elle est aussi fluide et lisible, y compris dans les combats où tout va parfois très vite. À ce titre, Arcane est vraiment une réussite en termes de production. La série est aussi soignée dans la recherche de ses plans où la manière dont elle oriente la caméra pour dire des choses à travers le cadre lui-même. On pourrait le dire ainsi : Arcane est bien filmé.
Arcane s’appuie sur des techniques d’animation habituelles, avec l’emploi de la 3D. Mais il y a aussi des effets spéciaux qui sont dessinés en 2D — comme de la vapeur ou des explosions. Ce mélange entre ces deux procédés est courant dans le monde de l’animation — aussi bien dans les productions japonaises qu’occidentales. Mais là où Arcane fait fort, c’est qu’il fait parfois oublier qu’il y a de l’infographie 3D.
L’esthétique de la série est tout à fait particulière. La texture des personnages et des environnements confère non seulement du volume aux corps et aux objets, mais il y a aussi autre chose. Cette patte dans le rendu donne l’impression d’avoir une peinture, dans laquelle on pourrait encore distinguer quelques coups de pinceau. Pour le dire avec moins de mots : c’est fabuleux à regarder.
Surtout, l’animation dans Arcane permet d’obtenir autre chose dans le récit : une rupture narrative, en basculant d’une technique d’animation à une autre pour raconter un moment fort autrement. On ne peut trop entrer dans les détails sans devoir raconter des péripéties clés, mais on pense tout particulièrement à la séquence entre Jinx et Ekko à la toute fin de la série, qui marque un tournant entre ces deux personnages.
Indéniablement, Arcane est une révélation inattendue et un pur moment de plaisir. On l’a binge-watché en quelques jours et on s’est entendu rouspéter en découvrant que Netflix s’était amusé, à la sortie de la série, à retenir les trois derniers épisodes pour les diffuser un peu plus tard. En fait, c’est terrible à dire, mais cette série (qui aura une suite) est suffisamment bien fichue pour m’avoir donné envie de jouer à LoL.
C’est dire.
Vous avez lu 0 articles sur Numerama ce mois-ci
Tout le monde n'a pas les moyens de payer pour l'information.
C'est pourquoi nous maintenons notre journalisme ouvert à tous.
Mais si vous le pouvez,
voici trois bonnes raisons de soutenir notre travail :
- 1 Numerama+ contribue à offrir une expérience gratuite à tous les lecteurs de Numerama.
- 2 Vous profiterez d'une lecture sans publicité, de nombreuses fonctions avancées de lecture et des contenus exclusifs.
- 3 Aider Numerama dans sa mission : comprendre le présent pour anticiper l'avenir.
Si vous croyez en un web gratuit et à une information de qualité accessible au plus grand nombre, rejoignez Numerama+.
Abonnez-vous à Numerama sur Google News pour ne manquer aucune info !