« C’est embarrassant et exaspérant », « Je me sens mal à l’aise avec cette annonce, puisque je ne vois pas en quoi les NFT sont en accord avec les valeurs que nous tentons de supporter », « C’est un embarras total… », « J’essaie généralement de rester positive sur nos annonces mais celle-là me gêne »… En interne, l’officialisation de l’introduction de NFT dans le jeu vidéo Ghost Recon Breakpoint passe très mal, selon des conversations entre employés sur leur messagerie professionnelle, auxquelles a pu avoir accès Numerama.
L’entreprise française a récemment pris la décision de se tourner vers la blockchain pour, selon ses dires, offrir des éléments cosmétiques encore plus personnels aux joueuses et aux joueurs. Cette nouveauté, appelée Quartz par Ubisoft, a été très mal perçue en public sitôt l’officialisation. En coulisses, ce n’est pas mieux : la majeure partie des salariés ne comprendrait pas ce choix, lié à la volonté de s’inscrire avant tout dans une tendance.
Un NFT dans un jeu vidéo : quel apport ?
Pour les développeurs, les NFT constituraient une forme de désastre. « On ne fait plus de jeux vidéo », souffle l’un des employés que nous avons pu interroger. Il y a ainsi deux réalités qui s’opposent.
D’un côté, on retrouve les décideurs, qui savent que les NFT riment avec gros chiffres (dernière preuve en date : les millions d’euros récoltés par le dernier jeu de Peter Molyneux, toujours au stade de la promesse). Les intéressés ne voudraient pas passer à côté d’une opportunité qui pourrait, à terme, rapporter gros.
De l’autre, il y a les créateurs, qui ne comprennent pas la plus-value. Pire, certains estiment qu’Ubisoft ferait mieux de s’abstenir. Médiatiquement, la multinationale a été secouée ces derniers mois en raison d’un climat toxique en partie révélé par Numerama. Et la voir s’engouffrer dans les NFT, qui n’ont pas toujours bonne presse, ne ferait que remettre de l’huile sur le feu.
« On fait comme avant, sauf qu’on crée une boutique qui brûle des forêts »
Un employé d’Ubisoft
Pour l’heure, on peine à saisir l’apport concret des NFT pour l’expérience de jeu. « Si le but est de permettre aux joueurs de conserver leurs objets entre les jeux, sachez qu’on peut transférer ses Pokémon d’un jeu à l’autre depuis un bail (lire : sans blockchain). Si le but est d’échanger des soins, Steam le permet depuis des années aussi », souligne un employé d’Ubisoft.
Un autre ironise : « On fait comme avant, sauf qu’on crée une boutique qui brûle des forêts. » Car il y a aussi le volet écologique : les cryptomonnaies s’apparentent à un vrai danger en termes de pollution, en raison de l’énergie dont elles ont besoin pour être minées. Un comble pour une entreprise qui, dans un communiqué récent, promettait « plus de vert dans [ses] jeux ».
Ces nombreuses voix internes sont soutenues par le syndicat Solidaires Informatique, qui a publié un communiqué pour critiquer la stratégie d’Ubisoft. « La blockchain est une technologie inutile, coûteuse, écologiquement mortifère, qui n’apporte rien aux jeux vidéo », annonce-t-il dans un tweet publié le 14 décembre.
« Vous aimez les dividendes, les SICAVs, les subprimes, les produits dérivés, les crises financières, la spéculation, le fast trading, le blanchiment d’argent ? C’est la promesse assurée et non-dite des NFT », argumente-t-il. Il indique par ailleurs que les cadres d’Ubisoft refusent de dire s’ils sont en possession de cryptomonnaies liées à la blockchain employée par Ghost Recon Breakpoint. On comprend pourquoi : s’il s’avère qu’ils en ont, ils pourraient être accusés de tirer profit de cette annonce soudaine.
« Bien sûr qu’on dépense beaucoup de ressources pour quelque chose que tout le monde déteste »
Un employé d’Ubisoft
Selon nos informations, Ubisoft aurait récemment organisé une réunion pour rassurer sur l’arrivée des NFT dans son catalogue de jeux. Au regard du tollé, on aurait pu envisager un rétropédalage de la part de l’entreprise, mais visiblement, cela ne sera pas le cas. « Bien sûr qu’on dépense beaucoup de ressources pour quelque chose que tout le monde déteste », confie un autre employé d’Ubisoft.
Le pire serait même à venir : imaginez un métavers — autre buzzword — en autogestion. Imaginez des niveaux entiers du prochain Assassin’s Creed détenus par des joueurs, lesquels pourront faire payer un droit d’entrée pour le visiter (dans l’unique but de les enrichir eux… et Ubisoft qui ne manquera pas de prélever un pourcentage).
En l’état, les NFT n’apportent strictement rien de positif, et cristallisent plutôt des défiances partagées de part et d’autre. Pour Ubisoft, il n’est pas trop tard pour reculer et se reconcentrer sur son but initial : créer des jeux vidéo.
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