Les Américains parlent souvent d’une baisse de régime « sophomore » (terme qui provient du contexte scolaire, correspondant à la deuxième année) pour décrire une œuvre très attendue qui se plante après un premier opus phénoménal. Mieux vaut vous prévenir tout de suite, la saison 2 d’Emily in Paris a autant d’attrait que du champagne éventé.
Tout comme son héroïne pleine de bonne volonté qui se fait recaler en cours de français, le nouveau volet de cette série créée par Darren Star n’est pas à la hauteur de nos attentes (si, si, nous en avions !). Pour celles et ceux qui n’ont jamais accroché à cette fable bourrée de clichés (mais qui s’assume comme telle), rien d’étonnant. Nous pouvons néanmoins parier sur le fait qu’ils vont se replonger dans le quotidien pittoresque de l’indéfectible optimiste jouée par Lily Collins, ne serait-ce que pour participer aux échanges enfiévrés sur les réseaux sociaux.
Le phénomène de 2020
La princesse de Chicago qui débarque en France sans maîtriser la langue pour travailler dans une agence marketing ne nous avait en effet pas laissés indifférents en 2020. Non seulement c’est un carton d’audience pour Netflix mais, des deux côtés de l’Atlantique, la presse avait examiné sous tous les angles (de son féminisme allégé 0% au véritable pouvoir d’Instagram) cette œuvre qui n’avait pourtant nulle autre ambition que de nous divertir.
La saison 1 avait remporté haut la main la palme de la série la plus feel-good (ou hate-watch, c’est selon) du confinement, ayant même conduit un journaliste du New Yorker à se pencher sur l’émergence d’une tendance qu’il appelle la télévision d’ambiance. Affublée de tenues oh so fabulous, Emily nous avait fait déambuler dans un Paris idéalisé où le covid et les arrondissements à deux chiffres impairs n’existaient pas. Joyeusement naïve, la série s’inscrivait dans la riche histoire de la fascination américaine pour l’Hexagone, se référant aussi bien au film classique Drôle de frimousse qu’au best-seller French Women Don’t Get Fat.
Si dans la saison deux, le choc culturel est toujours propice aux quiproquos – l’univers de François Truffaut est parodié avec bonhomie, tout comme la recette de la soupe aux poireaux – un certain je-ne-sais-quoi a disparu.
Au regard des dix épisodes disponibles depuis le 22 décembre 2021 sur Netflix, l’équilibre des genres ne fonctionne plus. Dans sa saison freshman, Emily in Paris était à la fois un travelogue, une comédie de bureau, une romance sexy, mais surtout un récit d’apprentissage. Volontairement erratique, la trajectoire de l’héroïne compte depuis le début autant de faux-amis que de faux-pas, et c’est ce qui fait son charme. Emily se trompe, s’adapte et, parfois, met du vin dans son eau. Attendris par son accent terrible et sa maîtrise simpliste des hashtags, ses amis, collègues et même les spectateurs sceptiques lui pardonnent tout.
Un an plus tard, le monde a changé, nous aussi, mais Emily stagne. Alors que sa boss Sylvie (Philippine Leroy-Beaulieu, sous-utilisée) ne cesse de lui rappeler que l’expérience d’expatriation est aussi magique et éphémère que les scintillements de la tour Eiffel, Miss Cooper est incapable de profiter de l’instant présent… sans filtres. Hormis la scène, téléphonée, où elle enfourche une Vespa façon Vacances romaines (si vous n’aviez pas encore compris l’hommage appuyé à Audrey Hepburn, les costumières Patricia Field et Marylin Fitoussi enfoncent le clou à chaque épisode), la spontanéité n’est pas son fort. Pire, son arrogance mâtinée de psychologie positive (qui passe encore chez Ted Lasso) commence sérieusement à nous agacer.
Un triangle amoureux poussif
Quid du cliffhanger qui nous avait laissés sur notre faim dans le dernier épisode ? Souvenez-vous : le croyant sur le départ et fraîchement célibataire, Emily a passé une nuit torride avec Gabriel, le beau-gosse cocorico de la série joué par Lucas Bravo. Seul problème, la jeune femme est bonne copine avec Camille (Camille Razat), l’ex « it’s complicated » de Gabriel.
Ajoutez à cela le fait que le talentueux chef va finalement ouvrir son restaurant au pied de l’immeuble d’Emily, plutôt qu’en Normandie, et voilà tous les ingrédients réunis pour un triangle amoureux pimenté (à ne pas confondre avec un ménage à trois, la série ne faisant pas toujours la distinction !). La saison deux s’empare de cette crise sentimentale avec une rigidité et une pesanteur indigne du créateur de Sex and the City. D’abord, les remords d’Emily sont exagérés. Elle a beau être une Américaine puritaine, nous sommes dans la ville du « Non, je ne regrette rien », oui ou merde ? En plus, elle gère le dilemme de manière présomptueuse et puérile, avant de finalement passer du triangle au rectangle.
C’est ainsi que nous faisons connaissance avec Alfie (Lucien Laviscount), un prétendant qui résiste aux minauderies d’Emily pendant un épisode top-chrono. Le fait qu’il soit anglais est propice à explorer une facette supplémentaire du contexte géopolitique actuel… just kidding ! Sa personnalité se résume à la finance, le foot et la bière. Nous étions pourtant enthousiastes à l’idée que cette nouvelle saison donne plus de temps d’antenne aux personnages secondaires, notamment Mindy (merveilleuse Ashley Park) qui entame une carrière de chanteuse. Mais sans direction narrative propre, cela ressemble à du remplissage.
L’apparition de la camarade de classe d’Emily, Petra (Daria Panchenko), par exemple, sert avant tout de prétexte à tourner une scène de shopping dans la Samaritaine restaurée. La prochaine frontière du placement de produit serait-elle le placement de lieu ? Difficile, alors, de profiter de l’escapade à Saint-Tropez du second épisode sans y voir un spot de publicité pour le Grand-Hôtel du Cap-Ferrat. On aurait plutôt préféré en apprendre davantage sur le passé provençal et provincial de Sylvie (qui l’eût cru ?).
Pour citer l’hilarante critique publiée sur Vulture il y a un an : « Par moments séduisante, la série nous demande aussi de suspendre notre incrédulité avec tant de vigueur qu’elle peut induire des lésions cérébrales temporaires ». Dans cette veine, la saison deux cumule tellement de coïncidences « comme par hasard », que c’est le coma cathodique qui menace.
Au point qu’on se demande parfois si l’on a zappé par erreur sur une rom-com tween de la Disney Channel. Certes, Emily in Paris est une fiction légère, mais elle porte une responsabilité en faisant le choix de placer des femmes modernes au centre de son intrigue. Si son approche très superficielle de #MeToo lui a déjà été reprochée, la saison deux (toujours produite par Lily Collins) prouvera que ces critiques étaient justifiées avec une scène de nudité gratuite mal placée. Alors, déçus ? Oui, mais… c’est la vie.
Le verdict
Emily in Paris
Voir la ficheOn a aimé
- Les acteurs ont vraiment l’air de bien s’amuser
- Les mauvaises blagues de Luc
- Les lieux de tournage qui font rêver
On a moins aimé
- Le manque de profondeur
- Les invraisemblances à répétition
- La scène du hammam
L’année dernière, nous avons adoré faire connaissance avec cette attachante plouc du Midwest fraîchement débarquée à Paris. La performance pétillante de Lily Collins était irrésistible, ainsi que les blagues piquantes sur le fossé culturel franco-américain. Malheureusement, la saison 2 d’Emily in Paris n’est pas le shoot de vitamine D que nous avions espéré en cette fin décembre morose. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé ! Costumes toujours aussi extravagants, voyages dépaysants, personnages diversifiés et chansons romantiques à souhait… les nouveaux épisodes sont à la fois too much et pas assez. Nous vous recommandons de les regarder pour le plaisir de s’évader, mais gare au syndrome de Paris !
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