Ne lisez pas cet article si vous ne souhaitez pas que l’intrigue de Matrix 4 soit divulgâchée. Ça semble évident, mais bon, on préfère prévenir.
1. Dans quelle matrice sommes-nous ?
Matrix Resurrections se situe dans la matrice numéro 7, qui tient debout depuis plus de 60 ans. Elle a été créée après la mort de Neo et Trinity à la fin de Matrix 3.
2. Qui est vraiment The Analyst ?
The Analyst, joué par Neil Patrick Harris, est directement lié à la question précédente. Il s’agit d’un programme informatique créé par les Machines et chargé de la mission de recréer une nouvelle matrice (qui doit générer de l’énergie grâce aux humains qui y sont connectés pour alimenter les machines). Contrairement aux précédentes, celle-ci est censée n’avoir absolument aucun bug, car l’Analyste veut que tout y soit 100 % sous contrôle.
Pour ce faire, il joue lui-même un rôle central dans la vie de Thomas Anderson en se faisant passer pour son psy. Il a également chargé l’agent Smith (enfin, le nouvel agent Smith, dont les souvenirs ont été effacés, et qui est contenu par l’Analyste) de garder un œil sur lui, en tant que méchant boss avec qui Anderson est contraint de travailler.
The Analyst aurait réussi à atteindre cette stabilité dans la septième matrice en ressuscitant Neo et Trinity dans le « vrai » monde et en les gardant aussi proches que possible, sans qu’ils ne puissent se toucher.
3. C’est quoi, un Modal ?
C’est un mot que l’on entend beaucoup dans Matrix 4, est il n’est pas si évident à comprendre. Au début de Matrix Resurrections, Neo est enfermé à nouveau dans une matrice dans laquelle il est Thomas Anderson, un développeur de génie qui a inventé un jeu vidéo, Matrix. Depuis le succès fulgurant du jeu, les chefs d’Anderson lui demandent de travailler sur un autre, appelé Binary.
Thomas Anderson a du mal à avancer sur son nouveau projet. Sur son temps libre, il a créé un modal : une sorte de bac à sable virtuel qui ne lui appartient qu’à lui et qui utilise le vieux code qui avait servi à faire le jeu vidéo Matrix. Un bac à sable, en sécurité informatique, est le plus souvent appelé par son nom anglais, sandbox : il s’agit d’un endroit isolé du reste où un développeur peut tester des choses sans risquer d’avoir un impact sur tout le reste du système.
Ici, le subconscient de Neo l’a poussé à créer cet endroit, discrètement et sans que l’Analyste ne s’en rende compte. C’est dans ce modal que le personnage de Yahya Abdul-Mateen II, le programme surnommé « nouveau Morpheus », est né et a évolué, gagnant peu à peu en conscience de lui-même.
4. Mais où est passé Smith ?
L’agent Smith, incarné ici par Jonathan Groff, n’a certainement pas disparu à la fin de ce quatrième opus. Tout au long du film, on retrouve l’antagonisme binaire sur lequel reposait la première trilogie Matrix : Neo et Smith s’affrontent, l’un tentant de sauver sa bien-aimée, l’autre voulant maintenir la stabilité d’une matrice qui lui permet à nouveau d’exister (et d’y être libre).
À la fin de Matrix Resurrections toutefois, Smith se retourne contre The Analyst et le combat aux côtés de Neo. Il ne s’agit pas d’une décision altruiste, mais d’une solution de survie. D’une part, parce que Smith est à nouveau libre dans cette matrice — jusqu’au réveil de Neo, il était contrôlé par l’Analyste. D’autre part, car il est possible que si Neo venait à mourir, Smith risquerait de mourir aussi (une partie de Neo est en lui depuis que l’Élu l’a traversé dans la trilogie précédente).
Or, la scène finale du café repose entièrement sur un dilemme : Trinity doit choisir de se réveiller ou non. Si elle accepte, elle pourra être extirpée de la matrice et Neo aura gagné. Mais si elle refuse, l’Analyste promet de renfermer Neo dans la matrice afin de pouvoir continuer à la faire fonctionner sans embûches. C’est pour cela que les alliés de Neo, dans le « vrai monde », se tiennent prêts à le débrancher de la matrice (et donc le tuer) s’il venait à retomber dans les mains de l’Analyste.
Smith arrive alors pour le « sauver », mais surtout empêcher l’Analyste de rebooter la matrice comme il le souhaite. L’alliance est toutefois de courte durée, et le programme repart, expliquant qu’il est « n’importe qui », en opposition à l’Élu.
5. Trinity est-elle une Élue ?
Pendant une grande partie du film, Trinity est coincée dans la matrice : elle y tient un rôle de mère de famille que Neo croise tous les jours au café du coin de la rue. Il est fou amoureux d’elle, mais elle ne le connait pas. Puis, au fil du film, il essaie de la convaincre de lui faire confiance et de se rappeler de qui elle est.
Ce n’est qu’à la fin de Matrix Resurrections qu’elle prend conscience d’avoir été enfermée dans ce faux monde. Elle embarque Neo sur sa moto et, après une longue course-poursuite, les deux amoureux se retrouvent sur le toit d’un immeuble. Ils sautent dans le vide pour s’échapper en espérant que le pouvoir de Neo leur permettra de voler. Coup de théâtre (au passage, aussi mal amené que mal filmé) : c’est en fait Trinity qui lévite, et tient à bout de bras (littéralement) celui que l’on pensait être l’Élu.
Plusieurs théories s’affrontent.
Il est possible qu’il y ait en fait plusieurs Élu : Matrix 4 ne cesse de rappeler l’importance d’un équilibre binaire (sauf lorsqu’il s’agit de queerness), et le duo Neo/Trinity est le fondement de toute son intrigue. L’Analyste constate lui-même que lorsque les deux se touchent, ils déploient un pouvoir trop important pour être contenu. Il s’agirait là d’une manière pour Lana Wachowski de montre sa première trilogie sous un autre angle : le salut n’était pas le fait d’un seul homme, mais d’un couple.
L’autre hypothèse est que Neo ne serait pas, ou plus, un Élu et que Trinity le remplacerait. Cette théorie est relativement mise à mal par une des scènes de fin où l’on voit les deux héros et héroïne virevolter dans les cieux — Neo a donc bien des pouvoirs plus puissants que la normale. Toutefois, il est vrai que Matrix Resurrections s’évertue à rapetisser son héros, incapable de léviter comme jadis, d’arrêter une balle qui fonce vers son amoureuse ou se battre comme avant. À l’inverse, l’attente de « l’éveil » de Trinity fait clairement écho à l’époque où Neo était encore dans la matrice aux débuts de Matrix. Et pousse à s’interroger : d’autres personnes peuvent-elles avoir des pouvoirs dans la matrice, à partir du moment où elles la « voient » ?
La dernière analyse peut-être plus cynique, mais il nous incombe quand même de la proposer : tenter de matérialiser grossièrement un discours féministe qui aurait bien plus mérité d’être infusé au long du film. Trinity passe la majeure partie de Matrix 4 dans l’attente d’être sauvée, pour que le personnage reprenne, au final, le contrôle de sa propre narration par la force (une grosse moto, des gros pouvoirs, une grosse baffe, un égorgement (oui)). L’exploit laisse un goût amer, comme une solution bâclée qui passerait à côté de ses ambitions d’empouvoirement, et n’apporte même pas plus d’explications. Ou alors… lisez la suite.
6. Sommes-nous les dindons d’une immense farce ?
Lana Wachowski est une réalisatrice et productrice de génie. Alors, impossible de ne pas s’interroger : se moque-t-elle ouvertement de nous ?
Matrix Resurrections n’est pas un excellent film. Ce n’est même pas, en réalité, un bon film. Mais c’est un film qui nous a prévenus dès le début qu’il n’était pas un bon film.
La première demie-heure est un florilège de références méta et d’abattage de quatrième mur, où les personnages débattent eux-mêmes de l’intérêt de Matrix et de son héritage. Où l’on écoute un groupe d’hommes s’extasier sur le prochain opus dont ils sont en train d’inventer l’intrigue, à grands coups de rappels nostalgiques, private jokes et « explosions de cerveaux ».
Puis Wachowski déroule le reste d’un film qui enchaîne rappels nostalgiques, private jokes et explosions de cerveaux. BULLET TIME !
Comment imaginer que la réalisatrice ait pu faire revenir le Mérovingien avec un tel manque de subtilité et d’intelligence ? Lorsque l’on entend (ou plutôt, subit) Lambert Wilson enchaîner les jurons en français, on ne peut qu’espérer qu’il s’agisse là d’une parodie au troisième degré de ces films qui ne font que s’autoréférencer — dans la salle sombre où l’on était, d’ailleurs, les rires n’ont été que de courte durée devant la grossièreté de l’exercice.
Comment penser que l’ajout de « petites machines mignonnes » pour aider les humains n’est pas une pique ouverte à tous les sidekicks so cute qui peuplent désormais toutes les grosses franchises (coucou bébé Yoda) ?
Peut-on ne serait-ce que considérer le fait que Lana Wachowski aurait pu, sans aucun recul, utiliser les mécanismes qu’elle dénonce dans son œuvre ? Cette pensée ne lui ferait pas honneur. Alors, on préfère écouter le cœur que la raison : Matrix 4 est là pour nous faire du mal. Un jouet volontairement cassé pour nous forcer à lever la tête et nous révolter, IRL, contre l’industrie de tout ce qui est fake : les news, les blockbusters, la culture contemporaine, les émotions. Et se tourner vers la seule vérité absolue, le sentiment amoureux. Le cœur a ses raisons.
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