Qu’a caché Lana Wachowski derrière le miroir de Matrix 4 ? Analyse.

Vous venez de sortir de la salle de cinéma. Après des mois et des mois d’attente, vous avez enfin vu Matrix 4 : Resurrections. Et là, c’est le drame : vous ne savez pas exactement si vous avez aimé ou pas. Le film vous a, certes, retourné le cerveau par moments, mais pas comme vous l’imaginiez — ni comme vous l’espériez. Les scènes de combat vous ont semblé assez mal chorégraphiées, Keanu Reeves un peu mou et le récit parfois confus. Pourtant, des scènes intelligentes et des dialogues pertinents vous ont marqué. Bref, Matrix 4 vous met dans de beaux draps : difficile de décider s’il s’agit d’un bon film.

C’est pour toutes ces raisons que Lana Wachowski a réussi son coup : Matrix Resurrections n’est autre qu’un hacking cinématographique, un cheval de Troie, une fable satirique orchestrée dans les détails.

La suite de cet article contient des spoilers sur le contenu de Matrix 4.

Soyez bien certains d'avoir pris la pilule rouge avant de continuer
Soyez bien certains d’avoir pris la pilule rouge avant de continuer

« C’est une métaphore de l’exploitation capitaliste »

« L’art est un miroir. La plupart des gens préfèrent regarder la surface, mais il y a des gens comme moi qui aiment ce qui se trouve derrière le miroir. J’ai fait ce film pour eux », prévenait la réalisatrice Lana Wachowski, en amont de la sortie de ce quatrième opus. En traversant le miroir de Matrix 4, que trouve-t-on ?

Loin de vouloir faire un film abscons, Lana Wachowski nous prend par la main, dans la première partie du film, en mettant les pieds dans le plat. Au sein de la nouvelle matrice, les précédents opus de la saga existent en tant que jeu vidéo et le distributeur (qui est nommé : Warner) désire une suite. Les employés de l’entreprise se livrent alors à un brainstorming — pardon, un étalage de cynisme — sur l’intérêt financier de produire un reboot. « Cela ne peut pas être un énième reboot », s’inquiète quelqu’un, quand l’autre répond : « Pourquoi pas ? Les reboots se vendent bien ». Un reboot qui reprendrait les codes qui ont fait le succès de la trilogie, donc. Quels codes, au juste ? « Ce que les gens veulent, c’est se dire ‘c’est quoi ce bordel’ », « les idées sont sexy de nos jours », « Matrix est du mindporn », « il faut du bullet time ! », « il faut que ça tire de partout ! ».

Puis intervient cette affirmation-clé : « C’est une métaphore de l’exploitation capitaliste. » En une phrase, le sens du film, comme celui de sa raison d’être, est posé. Lana Wachowski nous confie tout à la fois pourquoi elle a fait Matrix 4 et pourquoi elle va le saccager sauvagement. Le film ne pourra pas raconter une nouvelle histoire, ne pourra pas être criblé de références et de fan-service : une œuvre critique de l’exploitation capitaliste ne peut tolérer sa propre aliénation au système qu’elle dénonce.

Néo et Trinity sont de retour dans Resurrections. // Source : Warner/Matrix 4
Néo et Trinity sont de retour dans Resurrections. // Source : Warner/Matrix 4

On comprend que Lana Wachowski ne pouvait pas, artistiquement, livrer un nouveau Matrix. Dans son esprit de réalisatrice et de scénariste, elle avait raconté tout ce qu’elle avait à raconter, montré tout ce qu’elle avait à montrer. Seul l’appel de la nostalgie et de nouveaux bénéfices justifiait un nouveau film. C’est très exactement cela que Lana Wachowski va raconter avec Matrix 4 — et ostensiblement moquer (ce qui ne dérange pas forcément la Warner : du moment que le film fait des entrées, tout est ok) (sauf que visiblement, il n’en fait pas tant que ça). Elle va même, tout bonnement, mettre en scène l’aliénation dénoncée.

Le Mérovingien revient en caricature ridicule de lui-même. Les scènes de combat avec « bullet time » ne sont que de pâles réminiscences, brouillonnes, de ce qu’elles furent dans la trilogie. Les looks sont des clichés. Néo ressemble plus que jamais à Jésus et reste passif. Des petits robots mignons viennent enrichir l’univers de la saga. Des scènes de la trilogie sont réutilisées. Du déjà-vu, encore et encore, régurgité. Lana Wachowski réussit l’impensable pour un blockbuster : caricaturer la banalité de son propre reboot. Elle force le trait comme dans un dessin satirique ou un mockumentaire. Elle écrase les idées brillantes de la trilogie sous le poids de leur inutile et épuisante redite.

« Tout ce qui est important pour nous »

Après une heure de film, c’est le personnage de Bugs (Jessica Henwick) qui livre de nouvelles clés sur le sens de Matrix 4. S’adressant à Néo, elle explique : « Ils ont pris ton histoire, quelque chose qui signifiait tant pour des gens comme moi, et l’ont transformée en quelque chose de banal. C’est ce que fait la Matrice. Elle arme chaque idée. Chaque rêve. Tout ce qui est important pour nous. »

Puis, par la voix du personnage, Lana Wachowski nous rappelle que Matrix 4 reste le Pays des Merveilles : « Où peut-on mieux enterrer la vérité que dans quelque chose d’aussi ordinaire qu’un jeu vidéo ? ». Le fameux miroir. Où peut-on mieux enterrer la vérité que dans la suite d’un film de SF à succès ? Les enjeux, au milieu du film, sont des repères narratifs. Mais ils ne constituent pas le film. Le récit conceptuel — robots, matrice, combats, blabla — se fait cheval de Troie pour tout autre chose.

Jessica Henwick (Bugs), une révélation en tant qu'actrice dans ce film. // Source : Warner/Matrix 4
Jessica Henwick (Bugs), une révélation en tant qu’actrice dans ce film. // Source : Warner/Matrix 4

C’est pour cela que Matrix 4 s’échine à nous décrire un Néo globalement apathique. Oui, il a la flemme. Sauver le monde, combattre des machines, être l’Élu, mener le monde vers une nouvelle utopie, on repassera. Lui, il veut retrouver Trinity. C’est « tout ce qui est important pour nous », pour Neo, pour Lana Wachowski et ses coscénaristes. La vérité de Matrix 4 est donc dans son romantisme.

En se délivrant des idées conceptuelles (« ideas are the new sexy » revendiquait un personnage au début du film), que reste-t-il, si ce n’est cette histoire d’amour ? C’est ce que signe la scène finale, Néo et Trinity reprenant le contrôle et se moquant ouvertement de l’Analyste. La métaphore postulée au début du film tient jusqu’au bout, avec toutefois une victoire : la Matrice — l’exploitation capitaliste — est désarmée. Mieux, se jouant de la propre avidité de la Matrice, Néo et Trinity ont, de leurs propres mots, une « seconde chance ».

Matrix 4 n’est pas une trahison. La réalisatrice ne se moque pas de nous, mais nous invite à l’esprit critique — ou plus largement l’esprit ouvert. Si l’on perçoit le film comme un objet commercial auquel associer un certain nombre d’attentes comme le dernier produit au rayon électroménager qui doit remplir tel ou tel critère à l’achat, alors oui, le film est un naufrage.

Si l’on se met à nu devant la proposition expérimentale de Lana Wachowski, cependant, Matrix 4 vise très juste et remplit sa propre mission artistique. Matrix 4 n’est pas une révolution cinématographique, juste une histoire d’amour qui met le feu à Hollywood.

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