Rarement des films Netflix avaient autant été discutés que Don’t Look Up : Deni Cosmique, disponible sur la plateforme de vidéo à la demande depuis le 24 décembre 2021. Le long-métrage dispose d’un casting cinq étoiles avec Jennifer Lawrence, Cate Blanchett, Timothée Chalamet, Meryl Streep, Chris Evans, Leonardo Di Caprio. Mais c’est bien pour son scénario, et sa portée, que le film concentre autant l’attention.
Deux scientifiques cherchent à alerter les gouvernements et l’opinion publique sur l’imminence d’une catastrophe : le crash d’une météorite sur Terre. Mais en réponse à cette certitude scientifique, les deux astronomes ne font face qu’au déni, aux railleries, aux tentatives de discrédit. La prise de conscience du danger pourra-t-elle avoir lieu avant qu’il ne soit trop tard ?
Derrière le film catastrophe, qui semble classique sur le papier, se cache une approche bien plus fine. Don’t Look Up est moins un film sur de dangereuses météorites que l’allégorie d’une crise climatique qui n’en finit plus d’être insuffisamment prise en compte par les décideurs. C’est cette caractéristique primordiale qui anime les discussions. Résultat, Don’t Look Up attise tant les honneurs les plus élogieux sur la portée de l’œuvre, que des critiques dubitatives sur le message ou la mise en scène.
Qu’on le considère comme bon ou mauvais, une chose demeure : le film a créé un événement qui advient très rarement autour de la crise climatique. Mais pourquoi donc ?
L’interface défaillante science/société
Don’t Look Up décrit notre monde. C’est une satire dont chaque élément fait écho au présent — place de la science, les mèmes sur internet, les chaînes d’info en continu, les dirigeants manquant de courage (ou inconséquents façon Trump), les magnats de la tech sans vergogne, etc.
Sans mettre en scène le déni climatique, le film en utilise tous les ingrédients. Les climatologues y retrouvent tous les ressorts de la crise en cours. Le film « capture la folie que je vois tous les jours », confiait Peter Kalmus, climatologue de la Nasa, au Guardian.
D’autres voix, négatives quant à elles, reprochent au film de mettre en avant une forme de dépossession de l’action : l’idée que, finalement, les citoyens engagés ne peuvent plus faire grand-chose face à la catastrophe inéluctable. Ce serait cependant oublier le caractère satirique de l’œuvre, dont la faculté d’alerter ne fonctionne qu’en allant au bout du pire et avec une issue binaire (on réussit / on perd). D’autres personnes encore reprochent au film d’occulter les origines du changement climatique — notre modèle socioéconomique — et de faire dans le solutionnisme technologique ; mais rappelons cependant sur ce point que le film a un propos indirect (vu qu’il utilise la comète comme une métaphore).
D’avis contrastés en avis positifs, Don’t Look Up est finalement un film qui réveille des peurs, bien qu’il soit humoristique. La peur ne vient pas de la catastrophe présentée dans le scénario, mais de sa proximité avec une réalité dont nous avons tous et toutes conscience. Le film agit donc, depuis sa sortie, comme un catalyseur. Sauf que, plutôt que de nous faire parler directement du climat, il nous fait parler de notre approche de celui-ci. C’est tout aussi important.
À cet égard, le film adresse les dysfonctionnements à l’interface science-société, comme l’a relevé, dans un thread Twitter, la climatologue Valérie Masson-Delmotte, co-présidente du GIEC. « Le film montre le décalage entre le mode de fonctionnement des scientifiques, et celui du monde des média et du pouvoir politique. Je l’ai clairement ressenti à de multiples reprises », écrit la chercheuse.
Toutes les connaissances sont là. Mais, pour dépasser le déni — et on parle de celui des décideurs politiques et industriels bien davantage que celui d’une part de la population — elles ne semblent pas suffire. C’est la communication scientifique qui intervient alors. Or, cette interface science-société est défaillante, en raison de ce que Valérie Masson-Delmotte décrit comme une « dissonance » qu’elle a elle-même vécue « (…) dans un monde médiatique qui cherche la distraction, les aspects simplistes, la dispute, le tout entre deux publicités favorisant la surconsommation et ce qui conduit le plus à émettre plus de gaz à effet de serre, et parfois avec des personnalités nombrilistes. »
L’utilité de Don’t Look Up n’est donc pas de nous dire « attention, ça va mal finir », plutôt de nous montrer comment cela pourrait mal finir. Faire entrer le « comment » dans le débat public prouve toute l’utilité du long-métrage. L’efficacité de la pop culture pour alerter sur de tels enjeux est, d’ailleurs, trop souvent négligée.
Le rôle de la pop culture pour l’environnement
Don’t Look Up a peu d’équivalents dans la pop culture. Essayez de visualiser un film, une série, un jeu vidéo qui ait provoqué un même débat sur la crise climatique : le nombre de titres qui vous viendront sera (très) faible. Pourtant, la pop culture a cela d’utile qu’elle ne prend personne de haut. Dans un apparat de divertissement efficace, elle peut parler de sujets difficiles avec une certaine aisance. C’est la mécanique scénaristique du cheval de Troie.
Ces œuvres peuvent permettre l’appropriation individuelle et collective de sujets dans de larges strates de la société, infusant les consciences en faisant bouger les représentations dans le quotidien. Don’t Look Up met l’enjeu climatique à taille humaine : or, une grande part du problème en la matière est que l’enjeu est trop souvent perçu à tort comme vague, lointain.
C’est peut-être là que se situe la grande réussite de Don’t Look Up. Chaque jour qui a suivi le buzz, qu’importe que la critique soit positive, négative, nuancée, le thème environnemental était présent, et même bouillonnant. À cette occasion, le déni face à l’urgence fait l’objet d’un débat public à un autre moment que lors d’un débat politique comme une élection ou que lors d’un événement top down (« d’en haut ») comme la COP. Ce sont les téléspectatrices et téléspectateurs qui font le choix d’en parler. Un buzz comme celui-ci crève l’abcès avec une efficacité redoutable et, chose rare, il est donc bénéfique.
Don’t Look Up ne va pas changer le monde ni résoudre la crise environnementale. Toutefois, ne sous-estimons pas l’impact d’un tel film et plus largement de ce type de productions artistiques. Et espérons que ce ne soit plus un événement isolé.
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