C’était un coup de tonnerre dans le pas si petit monde du streaming illégal de matchs de football : Canal+ et BeIN Sports ont obtenu de la justice le 14 février 2022 la possibilité de bloquer les sites pirates diffusant le match PSG – Real de Madrid en Ligue des Champions. Cette évolution de l’arsenal de défense des ayants droit contre le piratage, déjà utilisé en janvier, avait la particularité d’impliquer les fournisseurs d’accès à Internet Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free.
Si la nature du blocage n’a pas été communiquée, on imaginait qu’il aurait été impossible d’accéder aux plates-formes pirates les plus populaires en se rendant directement sur leurs sites. Des témoignages recueillis par Numerama nous montrent le contraire. Pire encore : les personnes qui n’ont pas voulu tenter ces sites trop identifiés n’ont pas eu à chercher bien loin pour trouver un accès illégal au match.
Un simple blocage DNS facilement contournable
« Aucun problème pour me connecter sur le site où je vais habituellement », « Canal habituel », « Je regarde tous les matchs comme ça et ça n’a pas changé » : ces trois lecteurs de Numerama qui ont répondu à notre appel à témoin n’ont pas vu la différence entre les précédentes rencontres et celle qui opposait le PSG au Real de Madrid le 15 février 2022 en Ligue des Champions.
Tous ont en revanche un point commun : ils n’utilisent pas les DNS de leurs fournisseurs d’accès à Internet. « J’utilise par défaut ceux de Cloudflare, j’ai paramétré mon routeur pour qu’il pointe directement sur 1.1.1.1 », nous raconte cet internaute qui n’a eu aucun souci pour regarder la rencontre hier sur un gros site de streaming illégal de sport. « J’ai modifié mes DNS au préalable », confirme un autre, avant de préciser : « Je passe par ceux de Google ».
Cette opération très simple au niveau des paramètres réseau d’un ordinateur, PC ou Mac, est souvent recommandée quand des sites web semblent en panne. Elle n’a rien d’illégal : nous en donnons la méthode régulièrement sur Numerama et nous conseillons différents DNS, maintenus par des entreprises ou des collectifs. Pour rappel, le DNS (Domain Name System), est la fonctionnalité qui permet de diriger une adresse web textuelle (par exemple www.numerama.com) vers l’adresse IP du serveur sur laquelle le site est hébergé. Les opérateurs français en proposent tous un par défaut, mais il est possible de le changer très facilement.
Bloquer des sites au niveau du DNS est la manière la plus simple et la plus paresseuse de procéder : l’opérateur donne simplement l’ordre à son DNS de ne pas diriger une adresse web vers l’adresse IP à laquelle elle est rattachée, mais de pointer sur une autre page web, souvent un message de prévention fourni par la justice. En bref une méthode simple pour bloquer l’accès à des sites illégaux, mais dont le contournement ne prend que quelques clics à un utilisateur.
Si ces internautes ont pu regarder le match de Ligue des Champions sur des sites de streaming illégaux en changeant leur DNS, c’est donc que le blocage orchestré par les ayants droit, les opérateurs et la justice française est ce qu’on supposait : un blocage DNS. Une méthode qui peut décourager les personnes les moins au fait de son fonctionnement, mais qui est une formalité pour un grand nombre d’internautes.
Pour les paresseux du DNS, la soirée du 15 février qui a vu le triomphe du PSG dans les dernières minutes du match grâce à un immense Mbappé n’était pas non plus inaccessible. Il suffisait de se rendre sur Twitch ou Twitter.
Le blocage DNS, inefficace sur des sites web légitimes
Le blocage d’un contenu au niveau du DNS a un défaut évident si vous avez compris son fonctionnement : un opérateur n’aura pas de mal à bloquer un site manifestement illégal, mais il est hors de question de bloquer des mastodontes du web comme Twitter ou Twitch au prétexte que des utilisateurs de ces plates-formes en font un usage illégal. Et c’est précisément sur ces réseaux que d’autres internautes ont pu profiter de la rencontre.
« Au départ je ne comptais pas mater le match, justement à cause des restrictions annoncées, commence par nous raconter Minos, du coup je regardais les top streams français sur Twitch et j’ai vu un mec qui diffusait le match ». La soirée de Minos prend alors un tournant : « C’était clairement Canal+ avec des petites zones floutées en haut à droite pour cacher les logos. Le mec ne parlait pas du tout, pas de face cam, c’était juste le match. »
Cette chaîne a tenu une vingtaine de minutes avant d’être censurée par Twitch, mais d’autres ont pris le relai. « Je suis tombé sur un stream russe juste après, c’était plus amateur, le mec changeait de fenêtre pendant le live, poursuit Minos, avant de changer de flux : je suis retourné sur le top stream France et un autre streamer avec 5 000 spectateurs en temps réel diffusait de nouveau le match ». Autre configuration pour ce streamer : il avait décidé de flouter les logos, mais également de se mettre au premier plan pour commenter la partie. Sa chaîne s’est faite censurer « juste après le but de Kylian », autant dire à la toute fin de la rencontre.
Alexandre a une autre histoire à raconter, qui implique aussi un géant du web : « J’ai effectivement regardé le match sans rien payer hier. Il y avait un compte Twitter du qui a diffusé l’entièreté du match en direct sur Twitter. Il y avait plus de 37 000 personnes par moments sur le live ». Le live est tombé trois fois d’après Alexandre, mais a repris sans le moindre problème à chaque fois en quelques minutes. Autant dire que la modération automatique de Twitter semble moins efficace que celle de Twitch.
L’internaute, francophone, qui diffusait ce direct sur Twitter a d’ailleurs donné rendez-vous pour le match retour au stade Santiago-Barnabéu dans deux semaines. Les dispositions prises par la justice et les ayants droit ne semblent pas l’inquiéter outre mesure.
Pour Minos, cette expérience illégale sur des plateformes légales non touchées par un blocage DNS des opérateurs est même meilleure que celle des sites identifiés comme des pirates : « pas de pubs bizarres, des streams qui fonctionnent bien, une chouette interface, des discussions dans le chat, etc. ».
Il convient également d’ajouter, comme l’a fait remarquer très justement maître Alexandre Archambault, avocat spécialisé dans les télécoms, que des abonnés Free Mobile ou des clients iCloud ayant activé la fonction private relay ont pu aussi accéder sans problème aux contenus litigieux. Ce qui n’est pas anecdotique compte tenu de l’ascendant qu’a pris la connexion par mobile sur la liaison fixe.
En bref, cette soirée a rappelé, s’il le fallait, que le piratage en ligne était un sujet technique avant d’être un sujet juridique. Dans les faits, l’évolution de la pratique du piratage nous a montré qu’il avait toujours un coup d’avance : pour celles et ceux qui n’ont pas envie de s’embêter à modifier leur configuration réseau, le piratage des contenus payants en direct a déjà évolué vers d’autres formes de diffusion. D’autres solutions, comme l’IPTV, sont aussi quasiment impossibles à bloquer pour les ayant-droits.
(mise à jour avec une précision de Maître Alexandre Archambault)
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