« Je suis la Vengeance » sonne comme le mantra revendiqué par Batman au début du film, en salles ce 2 mars 2022. Les trois heures qui suivront s’emploieront alors à explorer cette affirmation, autant qu’à la désosser : cette phrase n’est pas la morale de The Batman, seulement l’ombre qui plane sur le film. Et c’est là le coup de génie de Matt Reeves dans cette nouvelle interprétation du chevalier noir : le film le plus brutal jamais produit sur ce personnage est aussi celui qui remet le plus en question cette violence.
C’est éprouvé, mais surtout époustouflé, que l’on ressort de ce long-métrage. The Batman est une proposition cinématographique de haut vol.
La cinématographie de Batman est à couper le souffle
En apparence, The Batman est construit comme un thriller policier. Tout commence avec le meurtre du maire de la ville, perpétré par un homme mystérieux : The Riddler. Démarre alors un jeu de piste, où chaque meurtre emmène Batman et l’inspecteur Gordon sur une énigme, qui n’est qu’un élément d’un plan plus vaste et qui pourrait bien faire vaciller la ville de Gotham tout entière. Cette trame n’est pas sans défauts, étirée en longueur excessivement (20 bonnes minutes de trop), avec quelques grosses ficelles et parfois à la limite du faux raccord, mais le fil rouge et les rebondissements tiennent bien la distance.
Derrière le thriller policier, cependant, se cache surtout un film esthétique. Matt Reeves appuie sa mise en scène sur un enchaînement des plans séquences magnifiques et de scènes étirées. Sur les toits, sur les routes, dans le couloir d’une boîte de nuit, chaque scène est un tableau vivant à l’atmosphère soutenue, presque suffocante. L’arrivée de Batman est souvent précédée d’un long silence, pendant lequel on retiendrait presque notre respiration, après quoi un bruit métallique de bottes se fait peu à peu entendre.
Les scènes d’action sont brutes, sèches, mais dénuées de toute violence sanguinolente. Chaque coup résonne comme un claquement sourd. Durant ces affrontements, Batman inspire la crainte. Il est comme une statue de marbre, déchaîné mais impassible, et dont la victoire semble inéluctable tant il impose une présence colossale qui, presque plus encore qu’un Superman, ne pourrait être stoppée.
Dans son film, Matt Reeves fait intervenir aussi bien le minimalisme que le monumental. Il n’y a pas de dimension mythologique désincarnée, car Batman n’est pas déifié, tout est à taille humaine, voire à fleur de peau. Paradoxalement, The Batman est massif à chaque instant — entre des décors vastes, la présence impressionnante de Batman, le vrombissement des véhicules, la musique étirée et pesante. Le film ne relâche tout bonnement jamais la pression, même lorsqu’il se passe peu de choses. L’ennui ne vient quasiment jamais malgré la lenteur apparente entre l’action.
Pas de héros à Gotham
L’interprétation du personnage développée par Robert Pattinson est unique en son genre. Il est le plus sombre Batman porté à l’écran, mais aussi le plus intéressant. Il s’agit peut-être du moins loquace de tous les chevaliers noirs : sur trois heures de film, il s’exprime extrêmement peu, même lorsqu’il n’est que Bruce Wayne (qui est assez « effacé » du film d’ailleurs). Le masque n’est pas qu’un costume, tout se joue dans l’intériorité du personnage, à qui Robert Pattinson confère une infinie tristesse. L’obscurité toute entière infuse dans ce Batman, il n’agit pas seulement dans l’ombre : il incarne l’ombre.
Pour autant, l’acteur n’est pas tombé dans le piège de cette mise en scène. C’est un Batman sombre, brutal, vengeur, qui reste un humain. S’il peut difficilement être décrit comme un héros, il n’est devient pas pour autant un antihéros. Ce n’est pas un Batman froid, sans limites, qui ne serait qu’une machine. La tristesse de Bruce Wayne n’est pas dénuée de lumière. Ainsi, le Batman le plus sombre porté à l’écran est aussi celui qui, in fine, est le plus humain.
Il en va d’ailleurs de même pour Selina Kyle (Catwoman), pour laquelle Zoe Kravitz délivre une performance qui sort là encore du lot. Elle s’émancipe du « badass », cliché accolé aux personnages féminins et sur lequel DC a beaucoup joué au cinéma ces dernières années (Wonder Woman, Harley Quinn). Ni forte ni faible, la Selina Kyle de Zoe Kravitz est déterminée mais fend volontiers l’armure, s’entête dans sa mission mais apprend de ses erreurs.
Les deux personnages vivent un cheminement propre à la remise en question. Le long-métrage de Matt Reeves a alors le bon goût de ne pas s’en tenir au postulat de départ, « I am Vengeance », mais, au contraire, de le bousculer. Jusqu’à une fin parfaite en la matière, qui, en soi, n’impliquerait pas la nécessité d’une suite. Cette approche de Batman a clairement du sens, en plus de livrer une expérience cinématographique à couper le souffle. Robert Pattinson disait en interview ne pas vouloir être le pire Batman : c’est plutôt réussi, car The Batman n’est pas seulement l’un des meilleurs films dédiés au personnage, c’est très clairement le plus beau visuellement, le plus original et le plus mature artistiquement.
Le verdict
The Batman
Voir la ficheOn a aimé
- Un film magnifique à l’esthétique époustouflante
- C’est un Batman imposant mais humain, unique en son genre
- Catwoman a une place intéressante dans le film
- Pas de morale bête et méchante, ce n’est pas sombre à l’excès
On a moins aimé
- Trop long de 20 bonnes minutes
- L’intrigue policière a quelques grosses ficelles
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