Ursula Le Guin est une figure majeure des littératures de l’imaginaire. Elle s’est illustrée aussi bien dans la fantasy que dans la science-fiction, forte d’un regard anthropologique sur les « ailleurs » et les « autrement ». Son nom fait généralement écho à son ouvrage majeur : La Main gauche de la nuit. Ce chef-d’œuvre de la SF est récemment ressorti dans une belle édition cartonnée chez Robert Laffont.
La même maison d’édition vient de publier, ce mois de mars 2022, une édition collector d’un autre ouvrage de cette autrice : Les Dépossédés, publié initialement en 1974. Cette nouvelle édition est renforcée d’une traduction révisée par Sébastien Guillot, d’une préface de David Meulemans et d’une postface d’Élisabeth Vonarburg.
Rarement un ouvrage aura bénéficié d’un contenant aussi magnifique : cette édition collector, cartonnée, donne envie d’être lue autant qu’être conservée ensuite précieusement dans notre bibliothèque tel un petit trésor.
Une planète nommée Anarres
Comme souvent, chez Ursula Le Guin, l’œuvre repose sur un voyage d’une culture vers une autre, très différente l’une de l’autre. Les Dépossédés nous présente une dualité de ce type : deux planètes jumelles mais profondément opposées. Il y a d’abord Anarres, dont le nom est un bon indice : il s’agit d’une utopie anarchiste, mais surtout d’une utopie ambigüe, car la liberté totale y est contrebalancée par une forte pauvreté et une rudesse de la vie en communauté. En face, Urras, qui n’est autre qu’un temple du capitalisme sous l’égide d’un État centralisateur où le culte du profit oppresse toute individualité.
Sur Anarres, le Dr Shevek, brillant physicien, développe des théories scientifiques de haut vol, combinant tant les mathématiques que des disciplines sociales comme l’éthique. Mais bien que la liberté règne sur Anarres, certains des projets de Shevek dérangent, contrastent avec les opinions majoritaires, se confrontent à une renaissance progressive de contraintes bureaucratiques. Il décide alors d’entreprendre un voyage vers Urras, pour créer des ponts entre les modes de vie, rouvrir le dialogue, et diffuser plus largement ses hypothèses scientifiques.
L’approche anthropologique d’Ursula Le Guin a rarement été aussi palpable que dans ce roman. L’autrice y explore, notamment, le rôle du langage dans les représentations mentales — l’usage du possessif étant proscrit de la société anarchiste d’Anarres, par exemple.
Il y a, dans Les Dépossédés, un questionnement sous-jacent de la notion même d’utopie. Bien que la planète Anarres soit régie par une anarchie qui fonctionne, elle n’est pas parfaite pour autant. Malgré sa forte cohérence entre ses idées et sa réalité, elle est soumise à l’épreuve du temps, et dès lors qu’elle se fige rien qu’un peu, elle se crispe, se fracture. Sans les vents du changement, même une utopie fonctionnelle devient dysfonctionnelle.
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