« On marche sur une corde en permanence : il faut toujours bien savoir placer le curseur selon le diffuseur ». Voilà comment Mathieu Missoffe décrit son métier de scénariste. Engrenages sur Canal+, Profilage sur TF1, Criminal : France sur Netflix… L’auteur français a participé à l’écriture de nombreuses séries depuis 15 ans. Il est également le créateur du thriller fantastique Zone Blanche, diffusé sur France 2 en 2017 et disponible sur Netflix, et de la série policière aux accents surnaturels, Syndrome E, adaptée du roman de Franck Thilliez et bientôt diffusée sur TF1.
Un parcours éclectique, pour lequel il a dû s’adapter aux contraintes et atouts de chaque diffuseurs (chaines de télévision ou plateformes). Il est évident que l’on écrit différemment pour une plateforme internationale comme Netflix ou pour une chaîne plus traditionnelle comme TF1 ou France 2. Pourtant, Mathieu Missoffe estime que ces diffuseurs ont davantage de points communs qu’on ne le pense au premier abord.
Des contraintes similaires
Pour Syndrome E, dont les deux premiers épisodes plutôt convaincants étaient diffusés en avant-première au festival Séries Mania, Mathieu Missoffe a imaginé un découpage en six épisodes, qui lui semblait être une évidence. « Je voulais reproduire le sentiment que l’on a lorsqu’un livre nous prend et ne nous lâche plus. Syndrome E a vraiment cet aspect best-seller, de page-turner, qui nous plonge immédiatement dans une intrigue. Au-delà, pour des saisons à partir de 10 épisodes, il faut un récit choral, avec un rythme plus lent. »
Pour Mathieu Missoffe, ces questions de format se retrouvent autant sur des chaînes conventionnelles que sur des plateformes de SVOD. Il estime ainsi que « les contraintes de rythmes sont exactement les mêmes entre Netflix et TF1. Aujourd’hui, la question de faire avancer l’intrigue rapidement et de toujours relancer l’action se retrouve chez tous les diffuseurs. C’est d’autant plus vrai pour une plateforme comme Netflix, qui est assez agressive dans son ambition d’attraper le spectateur et de ne jamais le lâcher. Au contraire, sur Engrenages pour Canal+, on pouvait davantage prendre notre temps pour disséquer les événements et traiter certains sujets à l’écran. »
TF1 et ses habitudes préétablies
Pour Syndrome E, plusieurs diffuseurs ont été envisagés. Mais certains d’entre eux « avaient envie d’autre chose » qu’une simple « enquête policière ». C’est donc TF1 qui a décidé de porter le projet, à la « grammaire très grand public ».
Mais collaborer avec TF1, c’est aussi accepter plusieurs allers-retours entre le scénariste, l’équipe de production et la chaîne, pour que la série colle bien à leurs attentes. « Il y a tout un processus de développement pour réussir à trouver le bon rythme. La chaîne nous avait demandé de nous raccrocher au réel, cela faisait partie de la promesse. On devait jouer avec les codes du genre, sans basculer totalement dedans. TF1 a des habitudes pré-établies sur les polars. Syndrome E est un peu plus noir et complexe que leurs productions classiques, donc il fallait rester compatible avec leur volonté de spectacle et de rassembler. »
Mais avec TF1, le vrai curseur qui importe est « celui de la violence de l’image : à quel moment on arrête une scène ou un plan ? Il faut proposer des récits qui attirent un maximum de gens. Mais l’appétit du public pour les choses graphiques est très faible, donc il vaut mieux suggérer que choquer. Cela existe sur toutes les chaînes, tout le temps, mais le curseur est très différent pour chaque diffuseur. Netflix peut aller plus loin dans cette esthétique, par exemple. Lorsque je travaillais sur Criminal, la plateforme n’avait pas vraiment d’habitudes pré-établies, donc beaucoup de choses étaient possibles. »
Un juste équilibre à trouver
D’autres chaînes françaises acceptent également de prendre des risques, en accordant davantage de liberté de ton à leurs créateurs de séries. Mathieu Missoffe estime que, lorsqu’il a développé Zone Blanche pour France 2, les conditions étaient particulièrement favorables. « C’était une série incontestablement plus noire que les autres productions sur lesquelles j’ai pu travailler. À l’époque, créer un thriller fantastique était un pari pour tout le monde. France 2 a clairement fait un écart par rapport à sa production mainstream. On avait moins d’atouts dans notre panier que Syndrome E, qui est une adaptation d’un roman à succès avec des acteurs connus comme Vincent Elbaz (La Vérité si je Mens). Pour Zone Blanche, au contraire, je devais créer un univers le plus cohérent possible en partant de zéro. J’ai l’impression qu’on a gagné qualitativement. Peut-être moins en terme d’audience, mais c’est le propre des paris : on ne peut pas tous les gagner. »
Pour Mathieu Missoffe, le travail d’un scénariste passe forcément par une « bonne compréhension des spécificités de chaque diffuseur. On ne peut pas faire les mêmes séries partout, mais à titre personnel, cela me plaît. Je sais que je vais devoir trouver mon identité et ma singularité au sein de ça. Mais tout est question de nombre : plus un diffuseur a de fortes ambitions en termes d’audience, plus il faut se poser la question de ce qui peut rassembler ce public. »
Le scénariste parle beaucoup d’équilibre à trouver, pour réussir à créer des séries de genre, tout en restant accessible au grand public : « Ce n’est pas toujours simple. Il y a la nécessité de surprendre avec des choses extraordinaires et ensuite, il y a un exercice de rationalisation, pour dire que c’est possible. X-Files le faisait tous les samedis soirs, à l’époque ! Il faut perdre les gens, puis les rattraper par la main de l’autre côté. C’est ça, la corde sur laquelle on marche en permanence. »
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