Le soir du 5 décembre 1986, Malik Oussekine part précipitamment de chez lui. Il est en retard pour un concert de jazz qu’il estime « historique », dans un club parisien. Mais cet étudiant de 22 ans, joyeux et curieux, ne rentrera jamais chez lui. Roué de coups et laissé pour mort par les forces de l’ordre dans un hall d’immeuble, Malik Oussekine deviendra le symbole de la lutte contre les violences policières.
Pour la première fois, son histoire est mise en images par le petit écran, dans une mini-série projetée en avant-première au festival Séries Mania en mars dernier et désormais disponible sur Disney+, depuis ce mercredi 11 mai 2022.
Une reconstitution minutieuse
Il n’est jamais facile de raconter l’Histoire récente en fiction, d’autant plus lorsque certains protagonistes sont toujours en vie. Mais Oussekine prouve avec brio que l’exercice peut être réalisé avec une aisance déconcertante. Créé et co-écrit par Antoine Chevrollier, réalisateur de talent pour Le Bureau des légendes ou Baron noir, ce drame opte pour un réalisme bluffant. Grâce à un important travail de recherches, les propos sont retranscrits quasiment au mot près et la famille Oussekine a largement pris part à la création, ce qui donne une authenticité inédite à la fiction.
La reconstitution est sincère et minutieuse, y compris dans les décors, les costumes ou l’effervescence générale des années 1980. On chante à tue-tête L’Aziza de Daniel Balavoine en conduisant dans une vieille Renault, les téléphones fixes sont dotés d’un cadran rotatif et les mouvements étudiants sont énergiques, alors que François Mitterrand est au pouvoir. Pris dans la vitalité de ces quatre épisodes, on a rapidement l’impression de (re)vivre ces années charnières comme si on y était.
Oussekine tend un miroir à 2022
Une précision nécessaire, pour une affaire majeure de l’Histoire française récente. À l’époque, l’ambiance est tendue par le projet de loi Devaquet, qui vise à réformer l’université. Les manifestations étudiantes se multiplient et la répression se fait de plus en plus forte. C’est dans ce contexte que Malik Oussekine perd la vie, pris dans un mouvement militant auquel il ne participait même pas.
La mini-série démontre bien à quel point l’affaire est instrumentalisée dès le départ. La police accuse Malik d’être un terroriste et estime que l’insuffisance rénale du jeune homme explique son décès. François Mitterrand lui-même se déplace au domicile de la famille Oussekine, devant des caméras de télévision. Dans la rue, les marches silencieuses et les protestations se propagent. 35 ans plus tard, l’affaire résonne étrangement avec de récents faits de violences policières. En dressant un parallèle glaçant avec notre société actuelle, Oussekine touche droit au cœur, tout en éveillant notre conscience politique.
Une narration impeccable
Les quatre épisodes d’une heure sont d’autant plus puissants que la narration est parfaitement dosée entre l’intime et le politique, entre le personnel et l’universel. Grâce à d’astucieux flashbacks et de subtiles références, la série aborde autant le drame des Algériens noyés dans la Seine le 17 octobre 1961 que le racisme ordinaire d’une société divisée. Oscillant entre les arcanes de la police, la chronique judiciaire ou politique et le drame familial, Oussekine parvient toujours à trouver le juste milieu pour nous captiver, sans jamais nous lâcher.
En fil rouge, la mini-série déroule également la nuit du décès de Malik Oussekine. La mort imminente de ce jeune homme, qui marche d’abord calmement dans les rues de Paris, cigarette à la main, au milieu du chaos et des policiers à motos, est saisissante. Si elle permet d’introduire habilement les témoins de cette nuit meurtrière, cette narration se pose également comme une sentence macabre et injuste, à laquelle on assiste, impuissants.
Le portrait d’une famille en deuil
Mais Oussekine ne se contente pas d’évoquer un contexte politique ou de raconter une soirée d’horreur. Elle ne porte pas son nom pour rien : la famille de Malik est au cœur de la mini-série. Attachante et bouleversante, la fratrie tente d’obtenir justice pour ce frère assassiné, tout en faisant face à un deuil inimaginable. La fin du premier épisode, remplie d’humanité et d’empathie, fera couler beaucoup de larmes, tout comme les trois autres chapitres, tous déchirants.
Humiliée, agressée et insultée pendant des mois, la famille Oussekine a dû se reconstruire, petit à petit. La mini-série s’attache à raconter les destins individuels de cette mère et de ces frères et sœurs, qui supportent le poids des traditions françaises comme algériennes sur leurs épaules. Malik, Ben Amar, Mohamed, Sarah et Fatna doivent ainsi composer avec une double nationalité difficile à porter. Leur mère, Aicha, résume d’ailleurs leur situation autant que le racisme ambiant dans un monologue poignant : « Ils se prennent pour des Français. C’est de notre faute, on leur a fait croire que c’était possible. »
Des comédiens formidables
Oussekine bénéficie également d’un atout majeur : un casting d’une qualité exceptionnelle. Dans le rôle de Malik, l’excellent Sayyid El Alami (Messiah) propose une performance solaire et discrète. À ses côtés, Hiam Abbass (Succession) est formidable dans le rôle de sa mère. Ses frères et sœurs, Fatna (Naidra Ayadi vue dans Parallèles), Sarah (Mouna Soualem), Mohamed (Tewfik Jallab, vu dans Engrenages) et Ben Amar (Malek Lamraoui) sont tous incarnés par de convaincants comédiens, que l’on aimerait voir plus souvent sur nos écrans. Kad Merad (Baron noir) et Olivier Gourmet (Une intime conviction) complètent cette distribution de haute volée.
Bref, on ne peut que vous conseiller de vous plonger dans Oussekine, qui fait étrangement écho à la série coup de poing When They See Us (Dans leur regard). Créé par Ava Duvernay, ce récit d’une erreur judiciaire américaine au racisme latent, avait déjà retourné tous ses spectateurs à sa sortie sur Netflix, en 2019. Oussekine s’inscrit dignement dans cet héritage et nous laisse glacés jusqu’au plus profond de notre être à la fin du quatrième épisode, secoués par ce destin inachevé.
L’abonnement à Disney+ démarre à 8,99 € par mois.
Le verdict
Oussekine
Voir la ficheOn a aimé
- Une reconstitution bluffante
- Une narration captivante pleine d’empathie
- Le récit d’une famille bouleversante
- Un casting formidable
On a moins aimé
- Les quatre épisodes passent si vite
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