La série Drôle s’arrête malheureusement après une seule saison, à cause de chiffres d’audience décevants. Avec elle, disparait définitivement l’illusion des plateformes comme « oasis créatives » espérées par l’industrie de la création française.

C’est une décision qui décevra les spectateurs, mais envoie surtout un triste signal à l’industrie de la création de fiction française. La série Drôle, mise en ligne le 18 mars 2022 après plus de trois années de développement, n’aura pas de saison 2, révèlent les Inrockuptibles ce 12 mai.

« Nous avons pris la difficile décision de ne pas reconduire Drôle pour une saison 2, après presque trois ans de travail en commun et une collaboration fructueuse avec Fanny Herrero, les Films du Kiosque et toute l’équipe. Nos abonnés n’y ont pas trouvé leur compte », a expliqué Netflix aux Inrocks.

Le message est cristallin : les audiences enregistrées sur la plateforme de vidéo à la demande par abonnement (SVOD) sur les deux derniers mois n’ont pas été assez élevées pour miser sur une deuxième saison. Et cela, même si celle-ci était déjà en cours d’écriture.

La série Drôle sur Netflix // Source : Mika Cotellon/Netflix
La série Drôle sur Netflix // Source : Mika Cotellon/Netflix

Pourquoi l’annulation de Drôle par Netflix est douloureuse

D’aucuns diraient qu’il s’agit de la loi des séries, en France comme ailleurs : les diffuseurs sont tenus par des objectifs d’audience, qu’il s’agisse d’une chaîne de télé linéaire ou d’une plateforme de streaming à la demande. Ceux qui détiennent les bourses — Netflix était ici diffuseur et coproducteur — doivent pouvoir s’y retrouver financièrement.

Cependant, le symbole est douloureux. D’une, parce que la décision peut sembler abrupte : après trois ans de développement, ne laisser que deux mois à un projet pour trouver son public peut sembler lapidaire.

La décision pique aussi parce que Drôle était clairement la meilleure série française lancée par Netflix depuis ses débuts. Fanny Herrero, sa showrunneuse, est à l’origine de la grande réussite Dix Pour Cent, un projet qui trainait dans les cartons de l’audiovisuel français depuis plus d’une décennie et qu’elle avait réussi à s’approprier et transformer en exceptionnel succès (on lui connait une dizaine de remakes dans le monde). Il y a trois ans, le directeur de la création de Netflix France Damien Couvreur et ses équipes ne cachaient pas combien ils étaient enthousiastes à l’idée de développer sa prochaine production, et lui ont laissé temps et liberté pour le faire.

Aujourd’hui, selon nos informations, les boites de production qui échangent avec Netflix France se voient plutôt entendre qu’il faut miser sur des séries plus légères, plus proches du soap. L’objectif étant probablement d’égaler les succès d’audience d’Emily in Paris ou de la Chronique des Bridgerton, pourtant loin de briller par leur qualité scénaristique.

Daphne et Simon dans la Chronique de Bridgerton // Source : Capture d'écran Netflix
Daphne et Simon dans la Chronique de Bridgerton // Source : Capture d’écran Netflix

Netflix n’est pas le « grand sauveur » des scénaristes français

Le signal envoyé à toute l’industrie est assez sévère. Il faut se replonger dans une époque pas si lointaine pour le comprendre. Avant l’ère des plateformes, il y a une dizaine d’années encore, les scénaristes français et françaises devaient emprunter un chemin balisé pour créer leurs œuvres : s’associer à une boite de production, qui ferait le lien avec les diffuseurs linéaires, peu nombreux — TF1, France Télévisions, M6, le très prisé Canal+, ou les nouveaux à petits budgets comme OCS.

L’arrivée de Netflix et autres Amazon Prime Video dans l’écosystème de la production originale française a fait souffler un vent d’espoir sur la fiction française : plus de diffuseurs potentiels signifiant plus de chances de voir son projet aboutir. Plus intéressant encore, les plateformes avaient la réputation d’être moins guidées par des logiques d’audience immédiate, car les contenus restent en ligne pour toujours, et peuvent bénéficier de seconds souffles.

Il s’agissait, néanmoins, d’une erreur d’appréciation, nourrie par beaucoup d’espoirs, un peu de fantasmes et une certaine dose de storytelling de la part des plateformes, préférant toujours parler de créativité que de chiffres. Or les faits sont plus crus : la loi des chiffres gouverne tous les diffuseurs, linéaires ou non.

Netflix est actuellement dans une passe compliquée, après avoir perdu pour la première fois 200 000 abonnés en un trimestre. La firme envisage même de lancer des offres moins onéreuses, mais avec de la publicité, renonçant à un de ses principes fondateurs. Mais les vagues d’annulation de productions qui ne séduisent pas assez d’abonnés ne datent pas d’hier.

En 2017, la plateforme avait essuyé de nombreuses critiques en annulant coup sur coup deux séries, Sense8 et The Get Down, qui mettaient en avant des minorités de genre et des personnes racisées. À l’époque, des observateurs semblaient découvrir que Netflix était régi, comme tous les autres, par des logiques d’audience et de rentabilité.

Netflix, Amazon Prime et bientôt HBO Max… Ces nouveaux arrivants sur le marché de la fiction française ont bien permis de démultiplier le nombre de contenus produits et diffusés dans l’hexagone. Leur image d’« oasis créative » n’a toutefois pas fait long feu — la disparition de Drôle devrait finir de sceller le constat.

Source : Montage Numerama

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