Trois années pour être créée, 28 jours pour être annulée. C’est le triste destin qu’a connu Drôle, la série française que Netflix a choisi de ne pas renouveler pour une nouvelle saison, comme les Inrocks l’ont appris le 12 mai dernier. La série avait été mise en ligne le 18 mars.
Les équipes avaient cependant appris la nouvelle encore plus tôt : « Ça faisait vingt-huit jours que Drôle était en ligne quand on nous a dit qu’elle ne continuerait pas. Ce qui est extrêmement rapide », a confié Fanny Herrero, la showrunneuse, à Télérama dans la foulée. Netflix avance des questions d’audience : la série n’aurait « pas trouvé son public » au grand dam, même, des équipes françaises de la plateforme, selon les Inrocks.
Un mois seulement pour donner sa chance à une série ? Le délai peut sembler extrêmement court. Surtout, dans notre cas, lorsqu’il s’agit d’une production très attendue, d’une des showrunneuses françaises les plus en vue, qui bousculait les codes des productions lisses pour proposer une narration énergique avec des personnages fouillés.
4 semaines pour toucher son public, ou bien s’en va
Drôle est en fait loin d’être une exception. Le hasard du calendrier a voulu que la veille, Vanity Fair a sorti une longue enquête dédiée à la politique de création et de diffusion de Netflix en matière de séries, interviewant au passage des showrunners (les personnes qui ont une vision sur quasiment toutes les étapes de la création) qui ont développé des projets pour la plateforme. L’un d’entre eux, sous couvert de l’anonymat, y confirme cette mystérieuse règle des quatre semaines : « Netflix a une philosophie : la manière dont une série se comporte le premier mois, au cours de sa première saison, est le meilleur indicateur pour savoir comment elle se comportera pour toujours.»
« Cela ne semble être vrai nulle par ailleurs. Il y a tant de séries qui trouvent leur public au fil du temps, grâce au bouche-à-oreille. Surtout dans l’environnement actuel où il y a tant de télévision : très peu de programmes font un carton en une soirée », continue cet habitué.
Quelles étaient les audiences de Drôle ? Combien de spectateurs avaient arrêté de regarder la série en cours de route ? Netflix ne le dira pas. Tout juste a-t-elle partagé ces chiffres avec les équipes de la série, tenues au silence. « Même si on a pas fait 60 millions de ‘viewers’, elle méritait d’exister sur la plateforme », a regretté l’acteur Younès Boucif (Nezir dans la série).
La plateforme utilise, depuis ses débuts, ses propres statistiques et regarde les chiffres qu’elle souhaite pour faire ses choix. Publiquement, elle a longtemps communiqué uniquement le nombre « d’intentions de visionnage », soit le nombre de personnes qui ont regardé les deux premières minutes d’un épisode ou d’un film. Aujourd’hui, la firme donne également toutes les semaines un classement des contenus les plus regardés en fonction du volume d’heures de visionnage.
Le binge-watching : une des clés de compréhension
Avant le déploiement des autres géants Disney+, Amazon Prime Video ou Apple TV+, Netflix a eu le temps d’imposer un nouveau mode de consommation : mettre en ligne la totalité d’une saison, le même jour à la même heure. La pratique du binge-watching, jusqu’ici réservée à celles et ceux qui disposaient de coffrets DVD ou qui téléchargeaient des saisons entières, s’est alors répandue et démocratisée. Le terme est devenu indissociable des plateformes de streaming en ligne par abonnement.
Or cet accent sur le binging, qui a créé de nombreux débats dans les cercles sériephiles, mais aussi des observateurs dépassés par cette démocratisation d’une pratique jusqu’ici plus marginale, a des conséquences directes sur la manière dont Netflix fait ses choix. Si l’on considère qu’en une ou deux semaines, une série qui vient de sortir peut être « bingée » par des dizaines de millions de personnes, alors c’est là que le curseur va être mis pour décider du sort des autres. Le fonctionnement est si différent de la télévision linéaire, que comparer les différences entre les décisions de renouvellement n’aurait quasiment pas de sens.
Ted Sarandos, le co-CEO de l’entreprise, ne le cache pas : « Nous ne sommes pas contents actuellement de notre croissance d’abonnés (…) Nous devons produire un (…) Chronique de Bridgerton par mois, et il faut s’assurer que ce soit ce niveau d’exigence que nous avons pour notre service », a-t-il rappelé en avril, alors que Netflix essuyait une perte historique de 200 000 abonnés payants en un trimestre.
La saison 2 de La Chronique des Bridgerton, une série insipide pourtant produite par la reine des séries Shonda Rimes, a engrangé 200 millions d’heures de visionnage une semaine après sa mise en ligne en avril dernier. Permettant également à la première saison d’engranger à nouveau 50 millions d’heures de visionnage — ce qui, paradoxalement, montre bien qu’une nouvelle saison permet de relancer l’intérêt pour une saison 1, et faire vivre une série sur le long terme.
Le géant du streaming n’a qu’extrêmement rarement fait une entorse à sa règle de diffusion de séries par « bloc » d’une saison, contrairement à la concurrence : Disney+ a réussi à faire monter la sauce autour de sa production originale Wandavision, qui n’aurait peut-être pas généré autant d’attention si les épisodes n’avaient pas été mis en ligne de manière hebdomadaire.
De là à dire que Netflix ne donnerait sa chance à aucun programme original serait une exagération : la multinationale teste des choses constamment, en témoignent des pépites comme Sense8, The OA, Tuca and Bertie ou les mini-séries Unbelievable et Unorthodox. Le constat est pourtant implacable : peu de séries originales, plus niches (ou « plus clivantes », du point de vue consumériste) qu’un Bridgerton, continuent leur chemin au-delà de la deuxième ou troisième saison.
Rappelons que Netflix est une sorte de grand supermarché de l’audiovisuel. Comme dans toutes les grande surfaces, il y a les allées principales remplies des produits phares de marques connues que les clients achètent mécaniquement, et il y a les petits stands moins fréquentés, avec moins de produits, un peu plus chers et plus savoureux. Ceux-ci ne génèrent pas de l’affluence, mais permettent d’augmenter la qualité globale de l’expérience de consommation. Encore faut-il se rappeler de remplir les étals.
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