« Les résultats sont très excitants. » Au laboratoire de Los Alamos, une intrigante anomalie a été détectée lors d’une expérience majeure. Elle est relayée dans deux études (1, 2) parues le 9 juin 2022, ainsi que sur le site de l’observatoire. Cette anomalie pourrait bien être le signe des « neutrinos stériles », qui restent, pour l’instant, purement hypothétiques.
Les neutrinos sont déjà, en soi, des particules fantomatiques. L’Univers en est rempli, notre Soleil nous en envoie par milliards chaque seconde, mais ces particules élémentaires demeurent très difficiles à observer. Elles n’ont aucune masse ni aucune charge électrique. Elles se glissent à travers les matériaux les plus denses et n’interagissent que dans le champ nucléaire faible. Pour espérer en voir des traces, il faut des observatoires comme le Super-Kamiokande au Japon — une immense cuve d’eau, plusieurs centaines de mètres sous terre, aux parois parsemées de milliers de détecteurs censés repérer des interactions avec l’eau.
En se déplaçant, les neutrinos oscillent entre trois « saveurs » (un ensemble de propriétés physiques) : électronique, muonique, tauique. Sauf que, dans les années 1990, des expériences suggéraient l’existence d’une quatrième saveur, une phase où les neutrinos n’interagiraient même pas via l’interaction nucléaire faible. D’où l’expression « neutrino stérile ». Leur seule interaction possible serait avec la gravité.
« Cela réaffirme vraiment l’anomalie »
L’anomalie a été détectée au Baksan Neutrino Observatory, situé un kilomètre sous terre dans les montagnes du Caucase. Il mobilise une source de neutrinos (de « saveur électronique ») et un réservoir de gallium liquide. La réaction entre les neutrinos électroniques et le gallium produit un isotope, le germanium 71. C’est ce qui permet d’observer la présence des neutrinos dans cette configuration.
Se glisse alors l’anomalie. Le taux mesuré dans la production de germanium 71 était 20 à 24 % inférieur à celui attendu sur la base de la modélisation théorique. Il y a un déficit dans le nombre de neutrinos détectés : cela suggère qu’il existe bel et bien une saveur stérile des neutrinos. Et, ce qui est d’autant plus intrigant, c’est que cette différence s’est reproduite dans d’autres expériences similaires, affirmant encore davantage ce résultat.
« Cela réaffirme vraiment l’anomalie que nous avons observée dans les expériences précédentes », explique l’analyste en chef, Steve Elliott. « Mais ce que cela signifie n’est pas évident. Il y a maintenant des résultats contradictoires sur les neutrinos stériles. »
Donc avec les neutrinos stériles, nous avons une particule fantomatique, très difficile à observer, qui existe en (très) grande quantité et qui n’interagit avec rien si ce n’est la gravité… voilà qui fait étrangement écho à la définition même de la matière noire. En raison même de ce parallèle, les neutrinos stériles sont des candidats très sérieux pour cette matière, qui n’a jamais été observée, mais apparaît essentielle dans le modèle standard de la physique.
Pourtant, attention à ne pas tirer de conclusions hâtives. D’autres explications sont envisageables, comme un « malentendu dans les données théoriques de l’expérience et la nécessité de revoir la physique elle-même ». Même si cette autre solution était la bonne, cela resterait tout aussi intéressant pour la recherche fondamentale.
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