Le vendredi 24 juin 2022 a résonné comme un coup de tonnerre pour le droit à disposer pleinement de son corps en toute liberté, aux États-Unis. La Cour suprême, très conservatrice, est revenue sur l’arrêt Roe v. Wade, ce qui ouvre la voie à ce que les États américains puissent bloquer et pénaliser l’accès à l’IVG aux personnes souhaitant un avortement.
La décision est un retour en arrière pour le droit humain que constitue l’IVG. Mais peut-on déjà en analyser l’effet sur le taux d’avortement ainsi que sur le danger encouru par les personnes concernées ? C’est l’approche suggérée par Pierre Henriquet, vulgarisateur scientifique réputé sur Twitter, dans un thread diffusé le 7 mai, où il propose de se pencher sur les données de la science. Alors, optons pour cette démarche : que dit la littérature scientifique sur l’interdiction de l’IVG ?
Interdire l’avortement n’a aucun sens
Dès les années 1990, on trouve de premiers travaux visant à évaluer la différence entre les contextes d’avortement légal et d’avortement illégal. L’objectif est alors surtout de déterminer si ces politiques ont des effets cohérents avec ce pour quoi elles sont adoptées. Une étude de 1996 se penche ainsi sur 23 lois adoptées entre 1982 et 1992 par des États américains, visant à restreindre l’accès à l’avortement — après une décision de la Cour suprême qui avait alors ouvert une brèche. Les auteurs concluent qu’« aucune des mesures politiques prises par les gouvernements des États n’a eu d’impact significatif sur l’incidence de l’avortement entre 1982 et 1992 ». Le constat est similaire dans une étude de 2014 comparant la situation avant et après le passage de nouvelles lois restrictives dans les années 2000 : limiter les accès à l’avortement ne freine pas l’avortement.
D’autres travaux de recherche se penchent plus largement sur les effets de la politique américaine internationale sur le sujet. C’est la « politique de Mexico », qui vient bloquer tout financement fédéral américain pour les ONG fournissant des conseils et de l’aide à l’IVG, ou même pour les ONG qui plaident pour sa dépénalisation et l’extension de mesures d’accompagnement. Cette politique mise en place sous Reagan en 1985 a été annulée par Clinton, puis rétablie par Bush, puis annulée par Obama, puis rétablie par Trump, puis dernièrement annulée par Biden.
Un faisceau de preuves solides dans la littérature scientifique démontre les conséquences néfastes de cette politique. Certes, par nature, cette politique semble limiter l’accès à l’avortement d’un point de vue légal. Mais, dans les faits, l’exact inverse se produit : soit cela n’a pas d’impact, soit cela provoque même l’augmentation des avortements.
Une étude de 2011 dédiée à l’impact de la politique de Mexico en Afrique subsaharienne le prouve. Le taux d’avortement « bondit » en cas d’accès plus faible à celui-ci : « Notre étude a trouvé des modèles empiriques robustes suggérant que la politique de Mexico est associée à une augmentation des taux d’avortement dans les pays d’Afrique subsaharienne », peut-on lire.
Les auteurs estiment alors que la politique de Mexico peut avoir des conséquences importantes sur la santé publique dans le monde, notamment sur la mortalité maternelle. Et il se trouve que, là encore, en matière de risques, la littérature scientifique le pointe : interdire l’avortement met les personnes concernées en danger.
Il faut « garantir l’accès à l’avortement sans risque »
L’équation est simple : l’interdiction de l’avortement ne réduit pas les avortements, car ceux-ci ont tout de même lieu, dans des conditions dégradées, beaucoup plus à risques. Qui plus est, les politiques bloquant l’accès à l’IVG ont tendance à restreindre aussi l’accès aux moyens de contraception, ce qui accroît statistiquement les besoins liés à l’IVG… ayant alors lieu, encore une fois, dans des conditions déplorables. En clair, cela génère un mécanisme globalement néfaste.
« Il est probable que le nombre d’avortements à risque continuera d’augmenter, à moins que l’accès des femmes à l’avortement et à la contraception sans risque — et le soutien à l’autonomisation des femmes (notamment leur liberté de décider de décider si et quand avoir un enfant) — soit mis en place et renforcé », constatait un rapport de l’Organisation mondiale de la Santé, en 2008.
Le constat est similaire dans une large étude publiée en 2012 et qui se penche sur les évolutions de l’accès à l’IVG, dans le monde, de 1995 à 2008. Les auteurs constatent là encore que les avortements à risque augmentent à mesure que des restrictions sont prises. Mais ils ajoutent que, pour freiner la mortalité maternelle notamment, il est impératif de prendre des « mesures visant à réduire l’incidence des grossesses non désirées et des avortements à risque », et ce en investissant dans « les services de planification familiale et les soins liés à l’avortement sans risque ».
La conclusion est encore exactement la même dans une étude plus récente de 2017. « Lorsqu’on les regroupe en fonction du statut juridique de l’avortement, la proportion d’avortements à risque est nettement plus élevée dans les pays aux lois très restrictives sur l’avortement que dans ceux à la législation moins restrictive », écrivent les auteurs. Des efforts accrus sont nécessaires pour « garantir l’accès à l’avortement sans risque ».
Une seule conclusion : il ne faut pas interdire l’avortement
Sur une base scientifique de nature empirique — en étudiant les données réelles des législations –, il ne fait donc pas le moindre doute de nos jours que l’interdiction de l’avortement ne fonctionne pas, et que cette interdiction est dangereuse pour la santé des personnes concernées.
En plus de graves implications sur le statut des femmes, toute décision freinant l’accès à l’avortement n’appartient donc pas au bon sens en matière de santé publique. La seule voie rationnelle est l’autorisation et même l’accompagnement de l’IVG.
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