L’hippocampe est la star de nos océans. Mais il existe une espèce cousine, moins connue, plus fantasque encore : l’hippocampe feuille (aussi appelé « dragon de mer feuillu »). Il n’est pas difficile d’imaginer ce que lui vaut ce nom : bien qu’il revête toutes les caractéristiques d’un hippocampe, il ressemble aussi, littéralement, à une feuille ou à une algue.
Son apparence curieuse n’est pas la seule chose surprenante chez l’hippocampe feuille. Les individus de cette espèce n’ont pas de dents, pas de côtes, une face particulièrement allongée et leurs épines sont toutes tordues. Ce sont des experts du camouflage : en plus de ressembler à une algue (sans quoi ils seraient des proies faciles), leur couleur peut légèrement évoluer, dans certaines circonstances. Qui plus est, ce sont les mâles qui s’occupent des embryons — pondus par les femelles puis déposés sur la queue du mâle qui les couve jusqu’à éclosion.
Mais pourquoi les hippocampes feuilles sont-ils si distincts parmi les poissons ? Pour avoir un début d’explication, il faut plonger dans leur code génétique. C’est ce qu’a fait une équipe de biologistes, avant de publier ses découvertes le 22 juin 2022 dans la revue scientifique PNAS. Elle y décrit la biologie de cette espèce comme « extravagante ». Et pour cause, « les dragons de mer sont des excentriques dans un groupe de poissons déjà excentriques », s’en amuse Clay Small, l’un des auteurs, sur le site de l’université de l’Oregon.
Les gènes fantasques
En séquençant le génome de deux spécimens, ces scientifiques ont pu mettre au jour des caractéristiques génétiques réellement distinctives par rapport à d’autres poissons. Parmi les particularités, on trouve tout bonnement un groupe de gènes manquant, pourtant présents habituellement chez les vertébrés. Ce ne sont pas n’importe quels gènes : ils participent au développement de la face, des dents, des appendices et d’une partie du système nerveux.
Inversement, les auteurs ont trouvé dans leur génome un très grand nombre de transposons, aussi appelés « gènes sauteurs », car ils changent de position, se dupliquent en séquences répétitives et peuvent ainsi provoquer des mutations rapides — ce qui peut être à l’origine d’évolutions ou de dysfonctions. Ces gènes constituent plus de la moitié de leur génome, ce que leurs auteurs décrivent comme « surprenant ».
Pour préciser le caractère unique ou non de cette découverte, ils ont comparé leur génome avec celui de 16 espèces de téléostéens — la classe à laquelle appartiennent l’écrasante majorité des poissons. Ils en concluent que, oui, la différence est notable étant donné que les génomes des hippocampes feuilles étudiés sont « exceptionnellement gonflés d’ADN répétitif parmi les téléostéens, pour leur taille relativement compacte ». La densité est par ailleurs élevée sur l’intégralité des chromosomes, quand, chez d’autres espèces, ces gènes sont soit d’une densité élevée mais regroupés en hotspots à des endroits clés ; soit ils sont d’une densité faible mais uniformément répartis.
L’évolution et ses surprises
Les auteurs ne se sont pas arrêtés au génome. Pour approfondir encore davantage les secrets de ces dragons de mer, ils ont procédé à l’imagerie d’un spécimen à l’aide d’un microscope à rayons X de haute résolution. « Personne n’avait jamais imagé une partie d’un dragon de mer de cette façon, avec une résolution aussi élevée », s’en félicite Susie Bassham, coautrice de l’étude.
Les scans ont permis de comprendre que les excroissances ressemblant à des morceaux de feuille se sont développées à partir d’épine. « Cela a permis d’étayer l’idée que ces ornements sont dérivés des épines au cours de l’évolution. »
Car, oui, les hippocampes feuilles incarnent la complexe rapidité de l’évolution. On estime que les hippocampes feuilles ont dérivé des hippocampes il n’y a de cela « que » 50 millions d’années, un délai particulièrement court à l’échelle de notre planète pour développer des différences aussi notables tout en étant deux espèces apparentées. Au-delà même de la curiosité scientifique que représentent ces hippocampes feuilles, ils représentent donc un merveilleux cas d’étude de certains mécanismes de l’évolution. « On s’intéresse beaucoup à la malléabilité à l’évolution de choses comme la tête et le visage », indique Susie Bassham.
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