Le bruit généré par le décollage de Saturn V, la fusée qui a envoyé les humains sur la Lune, aurait été extrêmement fort. Une onde de choc de plus de 200 décibels aurait fait fondre du béton sur plus d’un kilomètre alentour. Pourtant, cet impact aurait été largement surestimé.

« La fusée Saturn V a produit un son de 220 décibels, ce qui est assez fort pour faire fondre du béton et mettre le feu à l’herbe sur plus d’un kilomètre alentour. » Voilà encore récemment ce qui était affirmé dans un post Reddit, publié le 29 juillet 2022. Et, ce n’est pas la première fois que la fusée qui a permis de mener les premiers humains sur la Lune se retrouve au centre de telles affirmations.

Entre 1967 et 1973, le célèbre lanceur, star du programme Apollo, a volé 13 fois. D’abord, pour Apollo 4 sans équipage, un peu plus tard pour toutes les missions lunaires habitées, puis une dernière fois pour mettre en orbite la station spatiale Skylab. Des lancements si bruyants que certaines estimations évoquent même 235 décibels. C’est devant ces excès acoustiques que Kent Gee a voulu rétablir la vérité dans une étude parue dans The Journal of the Acoustical Society of America, le 23 août.

Des sources contradictoires

Ce spécialiste en acoustique à la Brigham Youth University avait déploré le manque de données sur ces événements, explique-t-il auprès de Numerama : « En voulant travailler sur l’ensemble des lancements depuis plusieurs décennies, je me suis rendu compte que les renseignements étaient rares. Des mesures des années 1960 évoquaient bien 204 décibels sur le pas de tir, mais les sources n’étaient pas vérifiables, parfois contradictoires… Nous ne pouvions rien faire avec ! Parfois, certaines mesures étaient même cinq fois supérieures à la normale. »

Saturn V quelques secondes après le décollage d'Apollo 6
Saturn V quelques secondes après le décollage d’Apollo 6. // Source : Nasa

Pourtant, la Nasa avait préparé le terrain à l’époque, et avait même commandé une étude pour prédire le niveau de bruit, qui avait conclu sur un résultat autour des 128 décibels. Ce niveau de référence avait servi à prévenir les personnes alentour de porter des protections. Mais, les moyens des années 1960 ne permettaient pas de vérifier ces prévisions avec précision.

C’est ce manque d’informations qui a conduit à imaginer un peu tout et n’importe quoi, et c’est ainsi que les articles évoquant une onde sonore capable de faire fondre le béton se sont multipliés.

Quand il s’est rendu compte de l’ampleur du problème, Kent Gee ne s’est pas intéressé directement aux mesures prises, afin de rétablir la vérité, mais à ce qui est possible physiquement : « Nous avions des modèles physiques et mathématiques, nous connaissons bien les capacités des moteurs, et c’est ainsi que nous avons pu arriver à un résultat plus proche de la réalité. »

235 décibels ? Il faudrait 1 400 Saturn V !

Au final, l’étude conclut que le son émis au niveau du pas de tir n’excédait pas les 203 décibels, ce qui est plus proche des mesures parcellaires prises à l’époque. Cela dit, était-il vraiment nécessaire d’apporter une justification si poussée pour quelques décibels de plus ? Eh bien oui, car cette unité de mesure est logarithmique, ce qui signifie que le volume est multiplié par deux chaque fois que vous en ajoutez trois ! Ainsi, si vous êtes à un mètre d’une arme quand elle tire, vous aurez entre 140 et 190 décibels, sachant que 120 suffisent à rendre sourd. Si vous aviez été près du volcan Krakatoa en 1883 (on ne sait jamais), l’éruption à près de 200 décibels vous aurait sans doute tué uniquement avec l’onde de choc sonore.

« Des mesures à 220 pour une simple fusée sont tout simplement impossibles, affirme Kent Gee. Il y a une méconnaissance du public sur ce sujet, car pour avoir 235 décibels, il faudrait pas moins de 1400 Saturn V qui seraient lancées simultanément, c’est physiquement irréaliste ! »

C’est aussi l’intérêt de cette étude, selon le chercheur : « Nous avons voulu faire une étude utilisable par les éducateurs, afin de mieux faire connaître les problématiques autour de l’acoustique. Dans cette affaire, il n’y avait pas de malveillance de la part des internautes qui ont propagé la fausse information, uniquement de la méconnaissance. »

Lancement nocturne d’Apollo 17 durant lequel on voit très brièvement l’onde sonore se déployer.

Pas de théorie du complot autour d’une fusée qui reste, même à 203 décibels, la plus grande source de bruit jamais produite par l’humanité. La propagation de mesures physiquement impossibles est dommageable pour quiconque s’intéresse à ces questions. « Saturn V a bien des raisons de fasciner, ajoute Kent Gee. C’est un symbole de ce que l’humanité peut faire avec l’arrivée des premiers êtres humains sur la Lune. Mais, sa réputation acoustique diffusée sur Internet est très exagérée. »

Aujourd’hui, les mesures de bruit à chaque lancement sont plus précises, et l’équipe de Kent Gee sera d’ailleurs au Kennedy Space Center pour assister au décollage du SLS pour la mission Artémis I. « Si nous nous basons uniquement sur la physique, nous avons des raisons de croire que le SLS sera encore plus bruyant que la Saturn V ! C’est une fusée plus grande, plus lourde… Mais nous verrons ! »

Entre-temps, les autres lanceurs, plus petits, avaient provoqué moins de bruit. Sans compter le fait que les agences spatiales ont travaillé pendant quelques décennies pour produire des engins un petit peu plus silencieux. « Ce n’est pas qu’une question de confort, nuance Kent Gee. Si nous voulons des fusées moins bruyantes, c’est aussi parce que le bruit provoque des vibrations, ce qui peut causer des dégâts aux matériaux et altérer la sécurité des astronautes. Ce qui doit être évidemment évité ! »

Découvrez les bonus

+ rapide, + pratique, + exclusif

Zéro publicité, fonctions avancées de lecture, articles résumés par l'I.A, contenus exclusifs et plus encore.

Découvrez les nombreux avantages de Numerama+.

S'abonner à Numerama+

Vous avez lu 0 articles sur Numerama ce mois-ci

Il y a une bonne raison de ne pas s'abonner à

Tout le monde n'a pas les moyens de payer pour l'information.
C'est pourquoi nous maintenons notre journalisme ouvert à tous.

Mais si vous le pouvez,
voici trois bonnes raisons de soutenir notre travail :

  • 1 Numerama+ contribue à offrir une expérience gratuite à tous les lecteurs de Numerama.
  • 2 Vous profiterez d'une lecture sans publicité, de nombreuses fonctions avancées de lecture et des contenus exclusifs.
  • 3 Aider Numerama dans sa mission : comprendre le présent pour anticiper l'avenir.

Si vous croyez en un web gratuit et à une information de qualité accessible au plus grand nombre, rejoignez Numerama+.

S'abonner à Numerama+

Abonnez-vous à Numerama sur Google News pour ne manquer aucune info !