La scène du lundi 5 septembre ferait presque froid dans le dos, quand l’on connait les enjeux de la crise climatique. Ce n’est pourtant qu’un éclat de rire de la part de célébrités du sport — Kylian Mbappé et Christophe Galtier. Tout a commencé il y a quelques jours, lorsque l’équipe du foot a employé un jet privé pour aller de Paris vers Nantes. En train, ce même trajet aurait pris seulement 2h.
Or, on sait que l’emploi inutile des jets privés est un problème environnemental majeur. L’empreinte carbone est trop élevée, d’autant plus qu’il existe des alternatives. L’ex-Premier ministre Jean Castex avait été épinglé pour leur usage excessif. Et il y a quelques jours encore, l’association ATTAC alertait sur le joueur Lionel Messi qui aurait réalisé plus de 50 vols depuis début juin 2022, produisant environ 1502 tonnes de CO2 en très peu de temps. En comparaison, une personne française émet en moyenne 6,9 tonnes de CO2 par an (d’après des chiffres de 2020).
C’est pour cette raison que, lors d’une conférence de presse, le journaliste de LCI, Paul Larroutouru, a interrogé Kylian Mbappé et Christophe Galtier, ce lundi. Il leur demande alors si le choix d’une écomobilité comme le train était envisagée en interne, après la proposition du directeur de la SNCF de mettre à disposition une offre adaptée. La réaction des deux personnalités ne se fait pas attendre : c’est le fou rire. Venues uniquement pour parler de football, les deux personnalités avaient visiblement anticipé qu’elles seraient forcées de répondre sur ce sujet : « Je me doutais qu’on allait avoir cette question-là », confirme d’abord Galtier. Puis la réponse sarcastique de l’entraîneur tombe : « On est en train de voir si on ne peut pas y aller en char à voile. » Mbappé semble, lui, rire de l’existence de la question, mais aussi du malaise de l’entraineur.
Dans la suite de la séquence, Mbappé ajoutera qu’il ne « pense rien » sur le sujet.
L’échange de regards et la phrase de Christophe Galtier laissent peu de place au doute quant à l’ironie moqueuse des deux hommes en guise de réponse (alors qu’on aurait pu imaginer sinon qu’il s’agissait d’un rire nerveux de fatigue). La question est pourtant cruciale en 2022 — à trois ans de la « deadline » évoquée par le GIEC pour conserver un réchauffement de 1,5 degré.
C’est bien pour cette raison que le monde écologique a fortement réagi à la scène. « On parle juste de la planète qui pourrait devenir inhabitable. La honte », relève Cyril Dion, réalisateur de Demain et d’Animal. Et le climatologue Christophe Cassou, climatologue membre du dernier panel du GIEC, de renchérir : « La nausée monte… ces rires/réponses travaillés en amont se fracassent dans ma tête aux larmes de cet agriculteur venu partager son désespoir d’avoir tout perdu cet été, lors d’une de mes confs grand public. J’ai mal. » Les réactions de la sorte furent nombreuses.
L’écologie : une anecdote dans un paysage d’autres enjeux, vraiment ?
Mais cette scène, finalement, on la connaît déjà. Les séquences médiatiques où le sujet écologique est moqué, ou peu pris en compte, sont nombreuses. Bien souvent, c’est la personne qui évoque le problème qui est tournée en dérision — comme si elle délirait, qu’elle en faisait trop sur un sujet accessoire.
Ce système de décrédibilisation du sujet environnemental avait été parfaitement mis en images dans le film Don’t Look Up, qui, à travers l’imminence d’une météorite, était une métaphore de la crise climatique. Dans le long-métrage de Netflix, deux présentateurs télé se mettent à rire face à leurs invités, deux scientifiques qui tentent d’alerter sur le danger.
Ces moments médiatiques sont des symptômes. Le fou rire de Mbappé et Galtier met mal à l’aise, mais sa gravité n’est pas tant celle d’un instant de quelques secondes que leur raison d’être : un « je-m’en-foutisme » face à l’urgence climatique, contre laquelle tant d’autres enjeux sont perçus comme plus importants. C’est un renversement : lors de ces moments, l’environnement est décrit comme l’anecdote, alors que la réalité est que ce sont bien les autres impératifs (comme le confort des joueurs) qui devrait être une anecdote face au changement climatique.
Les stades climatisés ou l’absurdité humaine et écologique
On aurait tort de s’acharner sur ces deux personnes seulement, qui, individuellement, ne sont qu’un symptôme : la séquence problématique s’inscrit bien au-delà, dans une polémique plus large touchant le sport international, la Coupe du Monde 2022. Celle-ci se tiendra au Qatar, qui a mis en place, pour l’occasion, des stades climatisés en plein désert. Ces derniers ont causé la mort de centaines d’ouvriers, et sont décrits comme des « aberrations climatiques ». Au niveau énergétique, ces stades sont une catastrophe environnementale. Il en résulte un appel au boycott de la part des écologistes ou encore des associations humanitaires, ce qui, en tout état de cause, ne fait pas mouche.
En définitive, le monde du football semble avoir du mal à se mettre à jour face aux enjeux écologiques, pourtant les plus importants du siècle. Mais ce milieu, néanmoins, connaît au niveau local une évolution majeure et géniale qui pourrait essaimer.
Des solutions, il y en a : l’éco-supporterisme existe
Aimer le foot et être responsable écologiquement serait incompatible ? Pas du tout. Au contraire, d’ailleurs, des initiatives font surface. Cela commence même à porter un nom : l’éco-supporterisme. L’initiative vient notamment de l’association Football Ecologie France, qui en a fait un livre blanc.
« Le football a les moyens de jouer un rôle majeur dans la transition écologique et solidaire et ainsi réduire son impact environnemental. Si les supporters ont la possibilité de modifier leurs habitudes et deviennent pro-actifs, les répercussions positives pour l’environnement seront concrètes et quantifiables », écrit l’association. Elle en a même développé un atelier : la Fresque écologie football, qui vise à sensibiliser les jeunes aux impacts de ce sport sur l’environnement, et à en imaginer les solutions.
Cette démarche est soutenue par l’ADEME, agence pour la transition écologique, qui relevait en début d’année que « tous peuvent participer à la mise en place d’un sport qui prend soin de la planète ». Il serait bien que ce message soit entendu par les footballeurs internationaux, dont l’impact médiatique est colossal sur plusieurs générations.
Comme le suggère la climatologue Valérie Masson-Delmotte, quelqu’un comme Kylian Mbappé pourrait devenir un excellent ambassadeur de la lutte pour sauver la planète. Elle explique même que de nombreux scientifiques seraient motivés pour donner des formations à l’écologie auprès de footballeurs qui le souhaiteraient.
Dans certains pays, les équipes de première ligue prennent déjà régulièrement le train, comme en Angleterre, en Italie. Et d’autres milieux que le football sont déjà en train de changer leur logiciel. C’est le cas du rugby : pour la coupe du monde 2023, les équipes seront entièrement transportées par les trains de la SNCF.
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