Pendant que Perseverance continue d’arpenter en solitaire les environs du cratère Jezero sur Mars, les travaux continuent un peu plus près de chez nous pour l’aider dans sa mission. Une étude parue le 7 septembre 2022 dans Science Advances a cherché à savoir si un des instruments embarqués sur le rover, le spectromètre Raman, était bien capable de détecter des biosignatures, c’est-à-dire d’anciennes traces de vie, si jamais il venait à les observer.
« L’environnement sur Mars est très hostile, raconte à Numerama le principal auteur Mickaël Baqué, du German Aerospace Center à Berlin. Les molécules sont soumises à beaucoup de stress à cause des radiations, et nous voulions savoir à quel point elles étaient affectées. » L’enjeu est grand, puisque Perseverance possède deux instruments, placés sur sa caméra SuperCam et au bout de son bras SHERLOC, qui sont munis de spectromètres Raman censés pouvoir les détecter.
Cette technologie a un avantage dans ce domaine : elle n’abime pas les matériaux qu’elle doit analyser. La spectroscopie infrarouge (classique) fait vibrer les molécules en les chauffant, afin de révéler la composition d’un objet, ce qui revient parfois à détruire les molécules les plus fragiles. La spectroscopie Raman, elle, utilise la fréquence de la lumière qui circule dans les molécules pour les caractériser.
Des doutes sur la survie des molécules
L’instrument Raman est une des principales nouveautés de Perseverance qui le distingue de Curiosity, l’autre rover qui n’avait pas accès à cette technique. Même si ce n’est pas son seul but dans cette mission, toute l’instrumentation autour du Raman a été accueillie avec enthousiasme par la communauté des astrobiologistes, ainsi que par le grand public — forcément désireux de savoir s’il y a bien eu de la vie sur Mars.
Mais le doute demeure, et certaines études avaient soulevé des doutes sur la capacité de ces éventuelles molécules à survivre à la surface de Mars. Pour le savoir, Mickaël Baqué et son équipe sont allés chercher des organismes terrestres dits extrémophiles, capables de résister à des conditions très difficiles. Ils survivent dans les déserts, en Antarctique ou en haute altitude, par exemple. Sept types de molécules (de la carotène, de la chlorophylline ou encore de la cellulose) ont ainsi été sélectionnées pour voir si elles pouvaient survivre sur Mars.
Cependant, comment faire pour simuler l’environnement de la planète rouge avec son atmosphère fine saturée en dioxyde de carbone, et surtout ses radiations solaires beaucoup plus fortes qu’à la surface de la Terre ? La réponse est simple : il faut aller dans l’espace. C’est ainsi que la petite équipe de molécules s’est retrouvée à bord de la Station spatiale internationale, et plus précisément dans la plateforme Expose-R2. Ce coffre placé à l’extérieur de la station accueille bon nombre d’organismes allant de l’insecte au champignon, en passant par différents types de bactéries.
Mickaël Baqué détaille : « Dans un des compartiments, nous avons recréé au mieux l’atmosphère de Mars, afin de mettre les échantillons dans un contexte proche de la réalité. » Il y avait également une copie de régolithe tel qu’on le trouve sur Mars, c’est-à-dire une reconstitution du sol martien fait de poussière extrêmement oxydée et déshydratée. Certaines molécules ont été placées à la surface de ce régolithe, et d’autres enfoncées sous quelques centimètres.
L’étape suivante : attendre. Les échantillons ont été laissés dans leur coffre pendant 469 jours, entre octobre 2014 et mars 2016. Durant ce laps de temps, les échantillons ont subi les radiations sans la protection de l’atmosphère terrestre, mais aussi des variations de températures entre -20 et +47 degrés Celsius !
Une bonne nouvelle pour Perseverance
Ce n’est qu’après toutes ces épreuves que les molécules ont pu être ramenées sur Terre, puis analysées. « Pour les échantillons à la surface, ils ont été complètement détruits, résume Mickaël Baqué, mais nous nous y attendions ! En revanche, ceux qui étaient ensevelis ont bien résisté. » Malgré les rayons UV et les grands changements de températures, quelques centimètres de poussière ont suffi à préserver ces organismes, qui ont ensuite pu être détectés sans problème avec le spectromètre Raman.
« C’est une bonne nouvelle, assure Mickaël Baqué. Cela nous montre que le Raman peut être utilisé pour faire les premières détections d’échantillons sur Mars. Si des biosignatures existent sous la surface, il pourra les détecter sans les endommager, avant de passer à d’autres techniques plus fines comme la spectrométrie de masse. »
Le rover de la Nasa est capable de creuser à quelques centimètres sous la surface pour aller chercher ces biosignatures protégées, si jamais elles existent. Et après lui, Rosalind Franklin décollera peut-être un jour, avec cette fois une foreuse. Elle sera censée chercher des carottes à deux mètres de profondeur, ce qui est aussi prometteur pour la recherche de vie extraterrestre… En tout cas, si l’engin mis entre parenthèse depuis le début de la guerre en Ukraine finit un jour par arriver sur Mars.
Malgré tout, l’étude de Mickaël Baqué souffre de quelques limites. Tout d’abord, elle ne dit pas à quelle vitesse les molécules finissent par se dégrader. Elles sont sorties intactes d’un peu plus d’un an dans l’espace, mais si des êtres vivants ont arpenté la surface de Mars, leurs traces y sont depuis probablement plusieurs milliards d’années.
Ensuite, ils n’ont pu tester que sept molécules différentes. Or, il en faudrait davantage pour avoir une idée plus large de la manière dont les différents corps réagissent face à ces conditions. « Nous menons d’autres expérimentations, précise Mickaël Baqué. Notamment en mélangeant des molécules avec différents minéraux pour savoir si cela retarde leur dégradation. »
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