Le grand public découvrait les toutes premières images prises par le télescope spatial James Webb le 12 juillet 2022. L’annonce, retentissante, a attiré l’attention des médias partout dans le monde, y compris en dehors de la presse spécialisée. Deux jours plus tard, les premières « vraies » données de James Webb ont été dévoilées et mises à disposition des chercheurs et des chercheuses, qui se sont attelés à les décortiquer.
Il a fallu moins d’une semaine pour que les premières études soient publiées sur le serveur ArXiv. Ce serveur est consacré aux papiers scientifiques qui n’ont pas encore été relus par les pairs, et donc non publiés dans les revues. Or, ces papiers vont devoir, pour la plupart, subir d’importantes révisions avant d’être validés. Car, il s’avère que des données sont incorrectes, comme l’a souligné la revue Nature le 28 septembre.
De premières données du James Webb provisoires
« Nous nous sommes peut-être un peu emballés, reconnaît Véronique Buat, chercheuse au laboratoire d’astrophysique de Marseille. Il y avait une telle excitation avec ces données que nous avons publié très vite, et maintenant, nous devons revoir la plupart de nos résultats. »
Le JWST aurait-il raté sa mission ? Absolument pas. Il s’agit d’un problème lié à la calibration des instruments. Avant le décollage, les différents capteurs du télescope sont réglés. Mais, lors de la mise en orbite, entre les mouvements puis les changements de température, tout bouge et il faut recommencer à faire les réglages pour pouvoir se servir correctement de toute cette technologie.
Cet obstacle est bien connu de la communauté scientifique. Chaque mission a droit à ses petites imperfections au début, et il faut parfois attendre plusieurs mois pour avoir quelque chose de vraiment exploitable. Mais, encore trois mois après, le calibrage de James Webb n’est pas totalement fini et les données sont sans cesse révisées. « Nous avons eu des données mises en ligne très rapidement, raconte Véronique Buat. C’est assez inhabituel d’aller si vite et nous pensions qu’elles étaient déjà assez solides, mais ça n’a pas été le cas. »
Concrètement, la scientifique travaille sur les galaxies lointaines. Ce sont les résultats qui ont été le plus impactés, car ce sont des signaux extrêmement faibles qui demandent la plus grande précision. En juillet dernier, Numerama vous parlait d’une étude à propos de la galaxie la plus lointaine jamais détectée en précisant bien qu’il ne s’agissait que d’une prépublication à prendre avec précaution. Si cette étude en particulier reste assez prudente et n’a pas été retirée, Véronique Buat a dû revoir quelques-uns de ses résultats (qui ne sont désormais plus accessibles en ligne, car ils ont été dépubliés) : « Nous avions un redshift (le décalage vers le rouge, qui sert à dater les galaxies) de 14, ce qui est très lointain. Mais, avec la révision, nous sommes passés à 12, ce qui est un écart assez significatif pour les physiciens. »
Au début, bon nombre de signaux correspondaient à des galaxies très lointaines, mais après une re-calibration des instruments, il s’est avéré que ces objets étaient finalement un peu moins spectaculaires que ce qu’ils semblaient être. D’autres études qui concernaient des objets plus proches avaient des résultats plus robustes qui, eux, n’ont pas eu à être retravaillés puisque les données étaient suffisamment claires. La question se pose davantage pour les signaux lointains.
« En ce moment, nous avons quasiment une nouvelle calibration toutes les semaines, assure Véronique Buat, et cela devrait durer encore un peu avant d’avoir des données fiables. »
« Nous devons être prudents et attendre »
Habituellement, les premières données arrivent plusieurs mois, voire un an après l’installation définitive de la mission. Mais, pour le JWST, tout est allé très vite, ce qui a surpris la communauté. « La calibration peut durer parfois tout au long de la mission, y compris après, précise Olivier Berné, astrophysicien à l’IRAP à Toulouse. On peut toujours faire mieux, et nous savons qu’au début, il vaut mieux ne pas surinterpréter les données. »
Le chercheur a obtenu la direction d’un des premiers programmes destinés à être étudiés avec le JWST. Il n’a pas encore publié d’études, mais a été tenté en voyant le flux de publications dès les premiers jours. « Il y a un côté très frustrant, car nous travaillons sur notre projet depuis des années, et certains se précipitent pour être les premiers à publier. Mais, nous devons être prudents et attendre pour s’assurer de ce que nous disons. »
Pour le chercheur, cette précipitation est révélatrice d’un problème de compétition au sein de la communauté des scientifiques. « C’est surtout le cas aux États-Unis : si un chercheur veut avoir du travail, il doit publier et être cité, ce qui encourage à être le premier, et donc à se précipiter. »
En France, le statut des chercheurs et des chercheuses est plus protégé. Pourtant, cela n’a pas empêché les publications précoces. « Comme les équipes sont internationales, il y a un sentiment d’urgence, raconte Véronique Buat. Nous avons un Slack en commun où il y avait des messages 24h sur 24, des États-Unis, du Japon… Tout cela donne l’impression qu’il faut aller vite, je n’avais jamais vécu ça de toute ma carrière ! »
Que retenir de cette affaire ? Pour Véronique Buat, cette confusion ne doit pas faire oublier les prouesses du JWST : « Une carrière entière peut se faire sur une seule image, assure la chercheuse. Ses résultats sont incroyables et une fois que tous ses instruments seront optimisés, nous allons découvrir énormément de choses. »
Pour Olivier Berné, cela montre bien finalement que la méthode scientifique et le système de relecture par les pairs est solide. « Les révisions ont été rapides, les revues n’ont pas laissé passer ces papiers qui en sont restés à l’état de prépublication. C’est la preuve que le système peut résister à cette course excessive. » L’astrophysicien espère que sa première publication sur le sujet sera prête d’ici fin octobre, une fois que la tempête sera un peu calmée.
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