L’existence des trous noirs, qui n’étaient que théoriques quelques décennies auparavant, commence à s’établir — en particulier grâce à des photos spectaculaires. Ils demeurent toutefois mystérieux. Mais, il y a des objets et phénomènes célestes qui restent purement hypothétiques. C’est le cas d’un autre type de trous : les trous de ver (parfois décrits comme des « vortex » dans la fiction).
Trou noir et trou de ver, une longue histoire scientifique
Le principe — idéalisé — est assez connu du public tant il est représenté dans la science-fiction. Ces trous seraient des portails transdimensionnels permettant de voyager d’un point A à un point B de l’espace. Ils seraient même potentiellement spatiotemporels en courbant aussi le temps. Dans tous les cas, il s’agirait d’un raccourci dans le cosmos. On ignore, à ce jour, s’ils existent. Ni même s’ils peuvent physiquement exister. On nage donc en pleine physique théorique.
Chez certains physiciens, il y a une thèse récurrente : puisque les trous noirs contorsionnent la matière, en la comprimant et en la faisant tournoyer jusqu’à atteindre l’horizon des événements (la zone noire au centre), ils pourraient être des trous de ver. L’idée repose sur un autre objet hypothétique : les trous blancs (qui contrairement aux trous noirs ne sont pas démontrés à ce jour). Là où le trou noir absorbe ; le trou blanc rejetterait. Alors, en somme, en courbant l’espace-temps, le trou noir finirait par se relier à un trou blanc.
Cette hypothèse existe depuis les années 1930 et les travaux de Nathan Rosen décrivent ce possible phénomène comme une sorte de pont dans l’espace-temps, par lequel de la matière pourrait passer. Encore en 2020, nous vous parlions dans nos colonnes d’une étude en prépublication évoquant la possibilité que certains trous noirs soient des trous de ver tout bonnement « déguisés ».
Les trous de ver « avancent aux frontières de la science »
Le 15 novembre 2022, une modélisation publiée dans la revue Physical Review D, vient apporter une nouvelle fois du grain à moudre à ces hypothèses. « Il y a dix ans, les trous de ver étaient complètement dans le domaine de la science-fiction. Maintenant, ils s’avancent aux frontières de la science et les gens cherchent activement », détaille l’une des autrices, Petya Nedkova, auprès du New Scientist. Bien que cela reste encore techniquement de la pure SF, les recherches théoriques avancent.
Cette équipe scientifique bulgare a développé un modèle mathématique, composé sur ordinateur, qui aboutit à l’hypothèse suivante : les disques de matière s’agitant au bord des trous noirs sont quasiment impossibles à distinguer des disques de matière tourbillonnante autour d’un potentiel trou de ver. La polarisation de la lumière (la façon dont elle se réorganise autour de l’horizon des événements du trou noir) n’exprime une différence que de 4 % entre les deux objets célestes, dans ce modèle. À l’échelle de tels monstres, c’est infime.
Alors, si les trous de ver existaient, pourrait-on ne serait-ce que le savoir un jour ?
Pourrait-on détecter un trou de ver ?
Selon les auteurs de cette modélisation, le frein à toute détection d’un trou de ver serait donc aujourd’hui purement technique — technologique, en réalité. La difficulté étant que toute recherche doit reposer sur la lumière autour du trou noir lui-même, puisqu’en son cœur, après l’horizon des événements, on ne voit tout bonnement rien. Or, cette lumière est elle-même difficile à étudier.
« À partir des observations actuelles, on ne peut pas distinguer un trou noir d’un trou de ver — il y a peut-être un trou de ver juste là, mais on ne peut pas faire la différence », indique Petya Nedkova. Peut-être donc que Sagittarius A*, le trou noir supermassif de la Voie lactée, est un trou de ver rejetant sa matière ailleurs dans le cosmos.
Il y aurait bien des moyens de le savoir selon cette équipe de recherche — en étudiant plus en détail la diffusion de la lumière pour en cerner les subtilités –, mais aucun appareil n’en serait capable de nos jours. Et pour cause, il faudrait une résolution bien plus élevée pour déceler ces 4 % de différence, et ces objets sont situés très, très loin de nous. C’est d’ailleurs là où la révolution des photographies de trous noirs peuvent arriver en renfort.
Bon, certes, une autre solution serait de s’y rendre. « Si vous étiez à proximité, vous le découvririez trop tard. Vous verriez la différence si vous mourrez ou si vous passez à travers », s’en amuse la physicienne. Mais, ici, bien évidemment, on reste dans le domaine d’un récit science fictif.
En tout cas, la quête des hypothétiques trous de ver ne s’arrêtera pas à cette étude. Si cette dernière suggère une caractéristique potentielle de ce qui distinguerait un trou de ver, d’autres modélisations pourraient bien, prochainement, mettre le doigt sur un autre ingrédient déterminant qui serait à notre portée. Ou alors, les technologies pourraient suffisamment devenir puissantes pour nous livrer de premières réponses. Si tout cela relève de la physique théorique, la marche de la science peut apporter son lot de surprise — rappelons que les premières exoplanètes ont été détectées il y a tout pile 30 ans, en 1992.
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