Elle a enfin pris son envol. « Elle », c’est la fusée Space launch System (SLS), qui vient enfin d’effectuer son vol inaugural le 16 novembre 2022 après des mois de retard. C’est avec ce lanceur que l’humanité va retourner sur la Lune durant la décennie 2020. Mais, ce ne sera pas avec la fusée qui vient de quitter la Terre : en effet, elle est devenue inutilisable.
C’est l’une des caractéristiques du SLS : elle n’a pas été fabriquée sur le même modèle que les lanceurs de SpaceX, avec un premier étage réutilisable (une faculté que l’on retrouve aussi ailleurs, comme le lanceur New Glenn de Blue Origin). Cela veut dire que chaque SLS est à usage unique, exactement comme Ariane. La majorité des fusées dans le monde fonctionne ainsi.
Cette absence de récupération est notée dans ce schéma de l’Agence spatiale européenne, publiée le 15 novembre. On constate que les deux propulseurs latéraux sont éjectés deux minutes après le décollage, suivi de l’étage principal après huit minutes. À aucun moment il n’est évoqué la possibilité de les récupérer — idem, d’ailleurs, pour le deuxième étage.
L’agence spatiale américaine dit la même chose : « une fois qu’ils ont brûlé leur propergol […], les boosters sont jetés, ce qui allège la charge pour le reste du vol spatial ». Selon la Nasa, les boosters retombent dans l’océan Atlantique, à 225 km des côtes de Floride, tandis que l’étage principal finit sa course dans le Pacifique, entre Hawaï et la Californie.
Quand on connaît le succès rencontré par SpaceX avec sa politique de récupération, cela interpelle forcément.
Après tout, quand l’entreprise américaine exploite la Falcon 9, l’étage principal rentre automatiquement sur Terre et ressert à plusieurs reprises. Idem avec le Falcon Heavy et ses deux boosters latéraux (qui sont en fait des bouts de lanceurs Falcon 9). Ainsi, SpaceX peut enchaîner les tirs et abaisser ses coûts, car il n’a pas besoin de reconstruire une fusée de zéro.
Tout le carburant doit servir à l’envoi vers la Lune
À cette interrogation, la Nasa a apporté une explication sur son site officiel : inclure une telle capacité nécessiterait logiquement de réserver une partie du carburant (ou d’en ajouter) pour assurer le retour contrôlé de l’étage principal sur Terre. Or, le SLS « utilise sa puissance pour maximiser la cargaison que la fusée peut envoyer sur la Lune. »
Ajouter du carburant aurait une incidence sur la masse générale du SLS. Idem s’il fallait prévoir un système de propulsion taillé pour ce genre de mission. Il faudrait également prévoir possiblement un pied d’atterrissage au cas où l’on voudrait que l’étage se pose correctement à la verticale. Là encore, cela ajoute de la masse et de la complexité (et un risque de panne).
Un autre élément mérite d’être considéré. C’est une chose que de juger les choix de la Nasa concernant le SLS aujourd’hui, en ayant en tête les succès de SpaceX. Cela en est une autre de se replacer dans le contexte de l’époque, lorsque le projet de la méga-fusée américaine a été officialisé. Et lorsque SpaceX n’avait pas encore prouvé la pertinence de ce modèle.
Le projet SLS a été officialisé en septembre 2011, s’inscrivant dans le sillage de la fusée Saturn V du temps des missions Apollo (elle aussi n’était pas réutilisable). Certes à l’époque, SpaceX existait déjà. Plusieurs de ses fusées avaient réussi à décoller et à mettre des charges utiles en orbite. Ce n’est qu’en avril 2014 que l’étage central d’une Falcon 9 a pu être récupéré pour la première fois.
Pendant ces deux ans et demi, la conception du SLS a avancé en parallèle, ce qui a figé de plus en plus son design final. En plus, le projet avait déjà englouti des fonds importants. Quant à SpaceX, il a encore fallu quelques années avant d’arriver au stade où cette récupération devienne une opération de routine. Le SLS était alors en voie d’achèvement.
Au tournant de 2010, qui imaginait déjà l’ampleur du bouleversement qu’allait être pour le secteur spatial l’ère des lanceurs réutilisables ? Les acteurs du « New Space », à l’image de SpaceX et Blue Origin, sans doute. Mais chez les organisations déjà en place, ce sujet n’était manifestement pas encore un sujet aussi évident et critique.
Aurait-il été possible de réorienter le développement du SLS en cours de route, à supposer que l’intégration d’une telle capacité soit utile au programme Artémis ? Comme elle n’a pas été pensée initialement pour cela, c’était prendre le risque de repartir de zéro, ou presque. Avec une fusée qui a déjà coûté presque 27,5 milliards de dollars, en multipliant les dépassements de budget, la pilule aurait été difficile à faire avaler.
Au-delà des questions de financement, ces modifications de design auraient été de nature à retarder encore plus le début de la mission Artémis — ne serait-ce que pour mener une campagne de tests pour valider la récupération du premier étage du SLS. C’est s’exposer à retarder de quelques années le retour des astronautes sur la Lune. Et, par ricochet, le début d’une mission vers Mars. Est-ce raisonnable alors que la Chine avance aussi et a de grandes ambitions en la matière ?
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