Le Soleil est scruté sous toutes ses coutures, que ce soit depuis le sol ou par des sondes parties à sa rencontre. Mais il reste des zones encore très mal connues : les pôles. Or, ce sont ces parties de notre astre qui sont cruciales pour comprendre les phénomènes qui s’y déroulent. Pour les chercheurs, c’est la prochaine frontière à dépasser.

Il paraît logique que l’avancée des connaissances scientifiques réponde aux questions de l’Humanité. Mais, concernant le Soleil, plus ce savoir a pris du volume, plus les mystères autour de notre astre sont nombreux. Aujourd’hui, entre les télescopes au sol et les sondes spatiales, les points de vue sur le Soleil ne manquent pas. Cependant, certaines questions restent désespérément sans réponse, notamment au sujet du champ magnétique du Soleil.

Il faut dire que, malgré les apparences, nous voyons finalement une partie assez réduite du Soleil : la Terre étant dans le plan de l’équateur, tout ce qui est proche du centre nous est familier, mais les pôles restent quasi invisibles. Ce problème est au cœur d’un papier prépublié sur ArXiv (il n’a pas encore été publié dans une revue scientifique) le 30 décembre 2022 par une équipe de chercheurs internationaux. « C’est avant tout une incitation destinée aux agences spatiales, raconte à Numerama une des autrices, Laurène Jouve. Développer une mission pour aller voir les pôles pourrait être très intéressant pour en savoir plus sur le Soleil. »

La chercheuse de l’Institut de Recherche en Astrophysique et Planétologie, à Toulouse, s’intéresse tout particulièrement aux cycles du Soleil. Des mouvements du champ magnétique bien observés et documentés, mais dont les modèles théoriques reposent sur quelques incertitudes.

Petit cours de champ (magnétique solaire)

Pour résumer le problème, il faut savoir que le champ magnétique solaire s’inverse dans un cycle ininterrompu tous les onze ans. Au départ, il est poloïdal, avec un champ qui va du Sud vers le Nord, mais la rotation assez complexe du Soleil le fait changer de place. « Si vous êtes assis sur l’équateur, détaille Laurène Jouve, vous ferez trois tours du Soleil pendant qu’une personne assise au pôle n’en fera que deux. Et, cette asymétrie est la source de nombreuses perturbations. »

Les retours en arrière observés par la sonde Parker. // Source : NASA's Goddard Space Flight Center/Conceptual Image Lab/Adriana Manrique Gutierrez
Un phénomène sur le Soleil observé par la sonde Parker. // Source : NASA’s Goddard Space Flight Center/Conceptual Image Lab/Adriana Manrique Gutierrez

Peu à peu, le champ magnétique va être attiré vers l’équateur par la rotation qui y est plus rapide. Il va s’étirer, se tordre et finir par être expulsé de la surface, créant le phénomène bien connu des taches solaires. Puis cette énergie va progressivement converger de nouveau vers les pôles, jusqu’à revenir à la configuration d’origine, mais cette fois du Nord vers le Sud.

Ce cycle est connu sous le nom de mécanisme de Babcock Leighton, et il est assez étudié concernant le Soleil. Cela dit, voir directement ce qui se produit dans les pôles au moment de l’inversion du champ magnétique serait un immense pas en avant. Une soif de connaissance qui n’est pas que purement théorique, puisque l’enjeu est également de mieux prévoir l’intensité des prochains cycles. Laurène Jouve précise : « Nous savons que la puissance d’un champ magnétique au début de son cycle influe sur la quantité de taches solaires présentes lors du maximum. Et, ces connaissances sont précieuses. »

Les éruptions solaires ont un effet non négligeable sur les satellites de télécommunications, mais également sur les sondes spatiales exposées aux radiations, sans parler des missions habitées. Les effets néfastes de cette activité sont nombreux : les satellites peuvent cesser de fonctionner, les astronautes, qui ne sont pas protégés par l’atmosphère terrestre, peuvent recevoir un surplus de radiation, et donc présentent un risque accru de cancer. Cela n’inclut pas les passagers de la station spatiale qui sont encore assez près de la Terre, mais alors que les missions habitées vers la Lune se précisent, la question se posera.

« Il n’y a pas d’obstacle technologique »

Aller voir les pôles du Soleil est donc particulièrement important et intéressant, que ce soit pour la science pure ou pour des aspects plus pratiques liés à l’exploration spatiale. Mais, comment faire ? Il se trouve que si aucune sonde n’a essayé d’aller voir avant, c’est parce que c’est plutôt complexe. La Terre étant au niveau de l’équateur, il faut lancer une sonde qui aurait un important changement de trajectoire pour monter ou descendre vers les pôles. « Celle qui s’en rapproche le plus, c’est Solar Orbiter, ajoute Laurène Jouve. La sonde s’éloigne de son plan, mais pas au-delà de 30 degrés, c’est donc toujours assez loin des pôles. »

La sonde de l’agence spatiale européenne se sert des mécanismes d’assistance gravitationnelle pour changer ainsi de plan, ce qui est possible notamment grâce à la planète Vénus, utilisée ici comme une fronde. Cela implique donc une trajectoire assez complexe, car plusieurs rotations sont nécessaires pour finir par arriver à la bonne destination, sans compter les réserves d’énergie tout de même importantes pour modifier la trajectoire de l’engin.

Vue d'artiste de Solar Orbiter. // Source : ESA/ATG medialab (photo recadrée)
Vue d’artiste de Solar Orbiter. // Source : ESA/ATG medialab (photo recadrée)

« C’est plus complexe, reconnaît Laurène Jouve, mais il n’y a pas véritablement d’obstacle technologique. Ce qui manque, ce serait la volonté des agences de se lancer dans un tel projet, et nous pensons que ça peut valoir le coup. »

En attendant, les ressources ne manquent pas pour entamer une mission vers les pôles solaires. Les sondes dirigées vers notre astre, notamment Solar Orbiter qui doit se rapprocher un peu des pôles, apportent une quantité de données cruciale pour mettre au point la mission qui dépassera les frontières actuelles. Il se pourrait que le premier passage de Solar Orbiter plus près des pôles, prévu pour 2025, encourage les projets de ce type.

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