Le cerveau du T.Rex, ce célèbre dinosaure carnivore, compterait plus de 3 milliards de neurones, d’après des travaux publiés fin décembre 2022. C’est l’équivalent d’un babouin. Ce serait valable pour d’autres dinosaures théropodes comme l’Allosaure. Une affirmation bien loin de l’image populaire sur ces anciens êtres vivants.
D’après la neurobiologiste Suzanne Herculano-Houzel, principale autrice de cette étude, un tel nombre de neurones « signifie qu’il avait ce qu’il faut pour construire des outils, résoudre des problèmes et vivre jusqu’à 40 ans, suffisamment pour bâtir une culture ». Ajoutant, dans son tweet : « La réalité est encore plus terrifiante que les films ! »
La scientifique va encore plus loin, répondant à une question d’un internaute lui demandant ce qu’elle entend par « culture » pour des dinosaures : « Comment déraciner et utiliser les arbres comme cure-dents et lances. Comment s’approcher furtivement d’une proie malgré sa taille. Comment conserver son énergie. Comment identifier et éviter de manger des animaux malades. J’invente tout ça à l’instant, mais les possibilités sont infinies… »
Mais, comment Suzanne Herculano-Houzel et son équipe parviennent-elles à une telle conclusion ? Et, compte tenu de la dimension quelque peu spectaculaire des propos de Suzanne Herculano-Houzel, à quel point faut-il la prendre au pied de la lettre ?
Les dinosaures avaient autant de neurones que des primates selon cette étude
Étudier le cerveau des dinosaures n’est pas sans un obstacle majeur : les tissus cérébraux ne sont pas préservés à l’échelle des millions d’années qui nous séparent de cette ère lointaine. À notre époque, l’informatique vient au renfort de la paléontologie : lorsque la boîte crânienne est correctement fossilisée, en bon état, on peut mobiliser la tomographie. Si la relation d’échelle entre la masse du cerveau et le nombre de neurones pour le clade (groupement d’espèces) est connue, « cette relation peut être appliquée pour estimer la composition neuronale du cerveau », écrit Suzanne Herculano-Houzel en introduction du papier.
L’équipe de Suzanne Herculano-Houzel a alors mis en relation les données crâniennes de ces dinosaures avec les données d’espèces proches existantes de nos jours : oiseaux, testudines (tortues), squamates (lézards, serpents…). Cela revient à extrapoler ce que l’on sait de certaines espèces, comme les autruches, aux dinosaures.
C’est à partir de cette analyse comparative qu’ils aboutissent à une conclusion. Les dinosaures théropodes tels que le Tyrannosaurus et l’Allosaurus avaient un nombre de neurones semblable à celui des babouins (3 milliards de neurones), pour le premier, et des singes (1 milliard), pour le second. Ce ne seraient donc pas seulement des géants féroces, mais des « animaux à longue durée de vie et dotés d’une cognition flexible », et donc « des prédateurs encore plus magnifiques que l’on ne le pensait auparavant » ajoute l’étude.
« Ils étaient les primates de leur époque », affirme Suzanne Herculano-Houzel sur son blog.
Entre suppositions et nouvelles idées, le T.Rex intelligent partage les scientifiques
De telles affirmations font évidemment réagir la communauté scientifique. Le zoologue Kai Caspar, spécialiste des primates, a produit un long thread mettant en évidence certains défauts de l’étude selon lui. Plusieurs de ces éléments relèvent de la méthode d’analyse elle-même — des notions qu’il estime « abstraites », qui ne font pas l’unanimité.
Il lui reproche par ailleurs sa conclusion d’un usage potentiel d’outils et d’une culture « simplement à cause d’une prédiction bancale du nombre de neurones ». Les outils ne sont pas une généralité chez les primates ni chez les oiseaux, écrit-il. Quant à la culture : « Il n’y a même pas de consensus parmi les primatologues sur la question de savoir si les chimpanzés ont des comportements sociaux pouvant être qualifiés de culture, bien que nous les ayons étudiés en profondeur pendant des décennies. À mon avis, lancer des discussions sur ce sujet en se focalisant sur les dinosaures n’a aucun intérêt. »
Kai Caspar rappelle aussi tout bonnement le caractère théorique de tels travaux : « Il va sans dire qu’il s’agit essentiellement de suppositions et que nous n’avons aucun moyen de savoir si elles sont exactes. »
Mais, des scientifiques estiment également que ces travaux apportent leur pierre à l’édifice pour comprendre les dinosaures, et que cela ouvre de nouvelles possibilités. « L’étude dans sa globalité constitue une étape importante dans la compréhension de l’évolution de la structure et de la fonction du cerveau des oiseaux modernes », indique la biologiste Amy Balanoff, au Washington Post. Quant à la capacité des T.Rex à développer une culture, elle estime l’idée « vraiment fascinante », mais nuance tout de même, elle aussi : « J’ignore si nous sommes déjà capables de faire cette prédiction. (…) Cela étant dit, j’accueille favorablement la formulation de grandes idées pour faire avancer la science. »
Il s’agit selon elle d’explorer cette voie en cherchant davantage de preuves. Le fait d’être ouvert à une possibilité permet d’ouvrir l’horizon des éléments à chercher : « S’ils étaient des chasseurs, peut-être trouverez-vous des preuves qu’ils chassaient en groupe en utilisant une sorte de communication sociale. Si vous n’avez aucune raison de vous attendre à cela, vous n’allez pas chercher ces preuves. »
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