Le passage à 2023 s’est fait sous le signe du changement climatique : cet hiver est l’un des plus doux enregistrés en France, accumulant de nombreux records. Les conséquences sont multiples. Les apiculteurs, par exemple, ont alerté : les abeilles se comportent comme si l’on était déjà au printemps. De même, le danger est de voir certaines cultures fleurir trop tôt… au risque qu’elles soient détruites ensuite par le gel, sans opportunité de refleurir avant la saison prochaine.
Mais dans un thread détaillé, l’écologue française Sophie Leguil alerte le 5 janvier sur un sujet connexe, bien moins souvent abordé : l’impact des températures trop élevées (trop douces), par rapport aux normales de saison, sur les fruits que l’on va manger au printemps et à l’été ; et sur de nombreuses plantes plus globalement.
Le froid est essentiel pour la floraison
Sophie Leguil évoque un phénomène appelé vernalisation : la période de froid — une température inférieure à 7 degrés (mais sans gel) — grâce à laquelle certaines plantes fleurissent. Oui, « grâce ». Cette période permet la transition entre stade végétatif et stade reproductif. « En hiver, les bourgeons sont en phase dite de dormance. Les chercheurs ont déterminé qu’un certain nombre d’heures de froid est nécessaire pour permettre une transition vers la floraison », explique Sophie Leguil.
L’écologue détaille le processus génétique à l’œuvre :
- Le gène Flowering Locus C (FLC) empêche la floraison ;
- Le froid « induit l’accumulation de la protéine VIN 3 » (l’accumulation nécessaire varie d’une espèce à l’autre, raison pour laquelle le nombre d’heures de froid nécessaire varie) ;
- La protéine VIN 3 inactive le gène FLC (c’est-à-dire qu’il ne peut temporairement plus s’exprimer) ;
- Une fois le gène FLC inactivé, la floraison est possible.
C’est là que l’anomalie de température qui a lieu durant cet hiver est problématique : l’impact sur la vernalisation pourrait causer des anomalies dans le développement de certaines plantes, et donc de leurs fruits ; mais également une « déconnexion » entre les pollinisateurs et la floraison. Des impacts possiblement « catastrophiques », écrit Sophie Leguil.
Hiver trop doux : coup dur pour l’alimentation ?
Parmi les conséquences possibles sur les plantes touchées par une vernalisation décalée : « Des fleurs anormales, par exemple (pistils doubles, pédicelles trop courts) ou une chute des fleurs, qui affecte évidemment le rendement. » Cela peut changer la forme des fruits. À cette liste s’ajoute les risques de voir se développer des champignons et des insectes ravageurs portant atteinte à la bonne santé des fruits en question.
Et, comme le relève Sophie Leguil, ce n’est pas sans conséquences pour les consommateurs : « Une [augmentation] potentielle de l’usage de pesticides, une flambée du prix des fruits, une baisse de l’autonomie alimentaire vu qu’on est obligés d’importer. »
Et, le problème, c’est bien que dans un contexte de dérèglement du climat, l’épisode de cette saison n’est ni le premier, ni le dernier. Comme la sécheresse durant l’été, cela peut induire des pénuries de plus en plus fortes.
La solution ? L’évidence, d’abord : mitiger au plus vite le dérèglement climatique en freinant amplement les émissions. Mais, il y a aussi l’adaptation : il faudra probablement changer de zone de production, ainsi que de type de production, vers des variétés demandant moins de jours de froid ou vers des serres où la température est « forcée ». Évidemment, il serait préférable d’éviter l’usage de produits chimiques en compensation, ou la solution serait aussi problématique… que le problème.
« Pourra t-on encore profiter de la même abondance de fruits (et de leurs produits dérivés !) dans 100 ans ? Difficile à dire. Mais ce qui se passe montre l’importance 1) de la recherche (climato, phénologie, agronomie) et 2) de la conservation des variétés (anciennes ou pas) », conclut Sophie Leguil.
Sophie Leguil propose régulièrement des threads de vulgarisation scientifique, en rebond à l’actualité et sur des sujets de notre quotidien, sur son compte Twitter.
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