Les criquets sont des conducteurs hors pair : ils volent par essaims de millions d’individus et se cognent rarement entre eux. Et ce malgré un fonctionnement neuronal simple. Peu de ressources neuronales, pour peu de collisions. Si on traduit cela sous le prisme de la robotique : peu d’énergie pour peu d’accidents. Pourquoi ne pas s’inspirer des insectes pour les systèmes anti-collision de nos futurs véhicules ?
Cette curieuse idée est celle de chercheurs du département d’ingénierie et de mécanique de l’université de Pennsylvanie. Ils ont créé un nouveau détecteur anti-collision pour les voitures, inspiré de la réaction des criquets à l’approche d’un obstacle. Leurs résultats ont été publiés début 2023 dans la revue ACS Nano.
« Les insectes — comme les humains — combinent plusieurs informations visuelles [vitesse, variation de taille ou de forme par exemple] pour se renseigner sur la dangerosité d’un obstacle en approche”, explique Julien Serres, chercheur en robotique bio-inspirée à l’université d’Aix-Marseille, qui n’a pas participé à l’étude. Ces informations leur permettent d’évaluer le temps avant une potentielle collision, appelé le temps avant impact, et de déclencher une réaction de fuite « sans même avoir à se représenter mentalement la situation », assure-t-il.
Objectif : imiter le neurone anti-collision
Chez les criquets, cette réaction anti-collision se passe au niveau du neurone LGMD (lobula giant movement detector). « Ce neurone est entièrement dédié à la détection de collision. En ayant un seul de ces neurones dans chaque œil, le criquet détecte des obstacles et prédateurs en consommant une minuscule quantité d’énergie », indique le chercheur de l’université de Pennsylvanie, Thomas Schranghamer, co-auteur de l’étude.
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Source : Insect-Inspired, Spike-Based, in-Sensor, and Night-Time Collision
Detector Based on Atomically Thin and Light-Sensitive Memtransistors
À l’approche d’un objet, avant que l’insecte ne l’évite, il y a un pic d’excitation neuronale du neurone LGMD. L’idée des chercheurs de l’université de Pennsylvanie est donc de mimer ce pic d’excitation dans un circuit électronique, pour évaluer le temps avant impact.
Ils ont simulé les trois réponses du neurone :
- L’inhibition
- L’excitation
- La fuite
« Les réponses inhibitrices et excitatrices apparaissent quand un stimulus visuel est présenté (comme un objet qui s’approche). Ces réponses sont combinées et mènent à une réponse de fuite, qui dépend de la vitesse de l’objet et sa distance », détaille Thomas Schranghamer. Pour enclencher ce trio de réponses, les chercheurs ont ajouté des capteurs à leur dispositif, pour optiquement détecter l’éventuel obstacle.
Pas d’algorithme, peu d’énergie
Si l’idée de l’équipe américaine est de reproduire un fonctionnement neuronal, on est ici bien loin d’une intelligence artificielle. « Il n’y a pas de programme, pas de logiciel, les calculs sont faits par des impulsions électriques. Tout est hardware », décrit Julien Serres. Cela a un avantage : le traitement consomme peu d’énergie.
Peu d’énergie, ou en tout cas moins que les technologies actuellement utilisées dans les véhicules. Car aujourd’hui les détecteurs anti-collision engagés dans nos véhicules reposent sur des impulsions d’ondes lumineuses ou radio qui mesurent le temps de réflexion. Elles nécessitent donc de faire tourner des algorithmes pour extraire les caractéristiques des images très consommateurs en énergie.
À titre de comparaison, et selon les estimations de Thomas Schranghamer, la consommation de leur dispositif est un milliard de fois inférieure à celle des technologies actuelles (de l’ordre du nanojoule pour une vingtaine de secondes d’application, contre quelques joules pour d’autres technologies).
Vers une robotique bio-inspirée pour les voitures
L’objectif est, à terme, d’intégrer ce détecteur dans le système anti-collision de vos voitures. « Cela pourrait être utilisé dans un système de freinage par anticipation par exemple. Comme on connaît l’inertie du véhicule, on est en mesure de déclencher une réaction cohérente de freinage », avance Julien Serres. « Leur adoption dépendra des besoins, et pourra notamment améliorer les technologies existantes », prévoit Thomas Schranghamer. Mais la question du coût de ce genre de technologie se pose avant un déploiement commercial.
« Ce que nous apprennent toutes ces petites bêtes, c’est qu’il n’y a pas besoin de caméras mégapixels ou de géolocalisation pour se déplacer avec précision dans l’espace. Les mouches, par exemple, ont une vision très floue — 100 fois moins fine que la vision humaine — et leur réaction d’évitement est donc tardive mais rapide, car ajustée à leur gabarit », illustre Julien Serres.
Les insectes nous aiguillent vers une robotique différente, plus sobre. Thomas Schranghamer complète : « Si on grossit le trait, les insectes ne peuvent, certes, pas faire beaucoup de choses, mais ce qu’ils font, ils le font très bien et de façon très efficace. » À nous de butiner dans les bonnes idées de ces petits animaux.
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