Le 26 septembre 2022 était une date historique pour la science et pour l’humanité. Pour la première fois, un engin humain percutait volontairement un astéroïde pour le faire changer de trajectoire. La mission DART (Double Asteroid Redirection Test) fut un succès complet, car la sonde a foncé comme prévu sur l’astéroïde Dimorphos, jusqu’à le faire légèrement dévier. Une première étape essentielle pour le jour où un astéroïde vraiment dangereux menacerait la Terre et qu’il faudrait lui administrer le même traitement.
Mais, une fois passé l’excitation de ce moment, que reste-t-il de DART ? La sonde réduite en miettes a tout de même pu récupérer un maximum de données avant l’impact, comme un nanosatellite qui accompagnait l’engin suicidaire et qui a filmé le choc. Sans oublier les multiples télescopes sur Terre dirigés vers Dimorphos pour ne rien manquer (ainsi que James Webb observant DART dans l’espace).
Tout cela combiné a pu être traité, analysé, jusqu’à aboutir à pas moins de cinq études parues ce 1er mars 2023 dans la revue Nature. Leur but : évaluer comment la trajectoire de Dimorphos a été modifiée par l’impact, quelles conséquences a pu avoir l’impact sur le sol de l’astéroïde, et comment tout cela peut aider à prévoir de futures missions de défense planétaire.
La mission DART, une partie de billard cosmique
« DART est souvent résumée comme une partie de billard dans l’espace, détaille pour Numerama Cristina Thomas, astronome à la Northern Arizona University, autrice principale d’une des études. Mais, les astéroïdes ne sont pas un roc solide, ce sont plutôt des piles de décombres, composées de plus petites roches maintenues ensemble par la gravité. Alors, quand ces débris sont projetés par un impact, il est difficile de prévoir les conséquences exactes. »
Concrètement, les études préliminaires prévoyaient que le choc allait réduire la période de révolution de Dimorphos autour de son compagnon Didymos de 7 minutes. Mais, l’élan donné par la fuite des petites roches a multiplié ce résultat, et finalement l’astéroïde met désormais 33 minutes de moins à faire le tour de Didymos !
Les prévisions étaient très peu précises avant le choc. Il était difficile de prévoir quelle quantité de matière allait être éjectée et comment cela allait influer sur la trajectoire. Cependant, quelques semaines après l’impact, la Nasa annonçait déjà un écart de 32 minutes avec une petite marge d’incertitude. Pour en avoir le cœur net, l’équipe de Cristina Thomas a utilisé deux méthodes différentes avec des télescopes basés sur Terre, pour observer à la fois les courbes de lumière et les données radar. « Ce sont deux méthodes indépendantes, précise la chercheuse. Comme ça, nous sommes sûrs du résultat, ce qui est important pour la suite, car le but est de savoir quelle quantité de matière a été éjectée, et comment cela a influencé le temps de révolution. »
La preuve que nous pouvons nous défendre face à une menace
Une autre étude évalue la masse de Dimorphos à 4,3 milliards de kg, et entre 0,3 et 0,5 % auraient été arrachés de la surface. Un résultat obtenu grâce à plusieurs télescopes disposés sur Terre, y compris de la part de volontaires amateurs à Nairobi et sur l’île de la Réunion.
Mais, la méthode est-elle viable pour se défendre face à un astéroïde vraiment menaçant ? Pour le savoir, il faut aussi comprendre exactement comment DART a frappé sa cible. C’est l’objet d’une autre étude à laquelle a participé Carolyn Ernst, de l’Université Johns-Hopkins à Baltimore : « Nous avons reconstitué tout l’événement : il fallait déterminer précisément le lieu de l’impact, l’orientation du vaisseau, l’angle d’impact… Tout ce qui est nécessaire pour interpréter correctement ce qu’il s’est passé. »
L’étude a montré que le vaisseau s’était écrasé entre deux gros rochers, qui constituent une importante partie de la surface de l’astéroïde. Avec toutes ces informations, Carolyn Ernst a suffisamment d’éléments pour affirmer que cette méthode est bien efficace : « Nous avons prouvé que cette technologie pourrait réellement nous défendre en cas de menace. Il y a beaucoup de leçons positives à retenir de DART, et beaucoup moins d’incertitudes sur ce que peut provoquer un tel impact. »
Pourtant, la mission est loin d’avoir révélé tous ses secrets. Si les données semblent abondantes ici, elles ne reposent que sur peu d’observations. En revanche, Dimorphos recevra bientôt un autre visiteur : Hera. La sonde de l’Agence spatiale européenne (ESA) est prévue pour un décollage fin 2024 et doit aller constater les dégâts de plus près. « Nos données seront très utiles pour cette future mission, assure Cristina Thomas. Qu’il s’agisse du changement de période orbitale, ou de la présence de matériel éjecté, ce sont des informations qui serviront à préparer la prochaine observation. »
Hera est très attendue pour apporter des données plus précises sur Dimorphos et l’état dans lequel DART l’a laissé. « C’est quelque chose qui n’arrive jamais dans les missions spatiales, s’enthousiasme Carolyn Ernst. Avoir le temps de faire des prédictions, puis attendre juste quelques années pour les faire vérifier sur place ! Il y a tellement de choses qu’Hera pourra voir et que l’on ne peut qu’évaluer d’ici. » Le rendez-vous d’Héra avec Dimorphos est prévu pour fin 2026, ce qui signera l’épilogue de la mission DART.
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